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Species and “strange species” in zoology: Do we need a “unified concept of species”?

Alain DUBOIS

en Comptes Rendus Palevol 10 (2-3) - Pages 77-94

Publié le 30 avril 2011

Cet article est tiré de la thématique La notion d’espèce en paléontologie : ontogenèse, variabilité, évolution

Espèces et « drôles d’espèces » en zoologie : avons-nous besoin d’un « concept unifié d’espèce » ?

L’éidonomie est le domaine de la taxinomie qui traite du « problème de l’espèce ». Ce dernier présente plusieurs dimensions. La première réside dans les fréquentes confusions entre espèce en tant qu’unité évolutive, taxon, catégorie taxinomique et rang nomenclatural. La seconde est la tentation réductionniste de ne reconnaître dans la nature qu’une seule sorte d’« entités de base » de la biodiversité. D’un point de vue pratique et pour tous les utilisateurs non systématiciens des nomina spécifiques, tout organisme animal doit être rapporté à un taxon de rang nomenclatural espèce, désigné par un binomen latin. Ces nomina sont indispensables pour les documents administratifs et légaux, pour la gestion et la conservation de la biodiversité, et pour toute la recherche en biologie. Mais cela n’implique nullement que tous ces taxons doivent être rapportés à une seule catégorie taxinomique d’espèce, un « concept unifié d’espèce ». Dans la nature, plusieurs sortes d’entités correspondent à différents « concepts d’espèce » ou spécions qui sont irréductibles les uns aux autres. Ces catégories peuvent être définies selon les modalités de leur reproduction, c’est-à-dire de leur gamétopoièse (mode de formation des gamètes), de leur kinétogenèse (mode d’initiation du développement de l’ovule) et du flux génique entre les individus. La catégorie la mieux connue est celle de mayron ou « concept mixiologique d’espèce », qui désigne une entité bisexuelle panmictique indépendante, constituant un pool génique protégé, mais d’autres existent. De manière à mieux comprendre leurs différences, il est utile de considérer leurs divers patrons de spéciation . Ceux-ci peuvent être classés en trois catégories principales : la monogénie (transformation au sein d’une même lignée), la diplogénie (un spécion donnant naissance à deux spécions distincts) et la mixogénie (résultant de l’hybridation entre deux spécions). La division en deux d’un pool génique initial unique est un processus assez long, qui passe souvent par plusieurs stades. Ceux-ci peuvent être traduits taxinomiquement grâce à l’emploi de catégories éidonomiques particulières. On peut considérer la spéciation achevée seulement quand elle est devenue irréversible en cas de remise en contact des deux stocks après une période de séparation. En allopatrie, il est difficile ou impossible de savoir si ce stade a été atteint. Ce n’est pas une raison pour abandonner le critère mixiologique pour identifier les mayrons sympatriques ou parapatriques. En allopatrie, une méthode reposant sur l’inférence peut être employée et, en l’absence d’information suffisante, il est toujours possible d’employer « par défaut » le « concept phylogénétique d’espèce » ou simpson. La situation est encore compliquée par le fait que certaines des entités de base de la biodiversité, d’origine hybride, les kyons, ne sont pas des mayrons, car elles ont des modalités reproductives particulières. Contrairement aux hybrides isolés et « normaux », de telles entités peuvent persister longtemps dans la nature. Leur gamétopoièse implique, soit une améiose (suite de mitoses), soit une métaméiose (méiose modifiée), et leur kinétogenèse implique une zygogenèse (fécondation), une gynogenèse ou une parthénogenèse. Il existe deux catégories principales de kyons. Les klonons sont des entités unisexuées femelles, au sein desquelles la transmission génétique est clonale, la reproduction s’effectuant souvent par parthénogenèse, ou au moyen d’autres mécanismes ayant des résultats similaires en termes génétiques. Les kleptons sont des entités unisexuées ou bisexuées qui dépendent, pour leur reproduction, à chaque génération, d’un mayron ou d’un autre klepton. Leur métaméiose produit des gamètes particuliers dont le développement est initié par zygogenèse (zygokleptons), par gynogenèse (gynokleptons) ou par une combinaison des deux phénomènes (tychokleptons). Tous ces cas particuliers ne constituent nullement, comme on l’a longtemps cru, des « culs-de-sacs évolutifs ». Au contraire, certaines de ces formes sont avantagées dans la nature dans certaines conditions, et peuvent également, dans certains cas, être à l’origine de spécions allopolyploïdes. Ces derniers incluent à la fois des « mayrons normaux » ou eumayrons (entités bisexuées allotétraploïdes) et des hétéromayrons (entités bisexuées allotriploïdes à métaméiose). Mayron, klepton, klonon et simpson, et leurs sous-catégories, sont des catégories taxinomiques différentes qui correspondent à un seul et même rang nomenclatural, celui d’espèce. L’existence d’hybridation interspécifique dans la nature est un phénomène très commun chez les animaux, dont l’importance a longtemps été sous-estimée. Les relations réticulées entre les spécions ont joué un rôle majeur dans le scénario de l’évolution. Cette découverte devrait se traduire par le rejet du modèle de l’« arbre universel du vivant » pour décrire l’évolution organique, et son remplacement par un modèle du « réseau du vivant ».


Mots-clés :

Taxinomie, Nomenclature, Espèce, Spéciation, Hybridation, Gamétopoièse, Kinétogenèse, Parthénogenèse, Gynogenèse, Hybridogenèse, Mayron, Kyon, Klonon, Klepton, Simpson, Arbre du vivant, Réseau du vivant

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