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Pathologie et bestialité : une représentation métaphorique de la maladie dans les tragédies de Sophocle

Stéphanie TÉRASSE

fr Anthropozoologica 33-34 - Pages 47-60

Publié le 01 mars 2002

Cet article est tiré de la thématique Animal et animalité dans l’Antiquité. Actes du colloque de l’Université Lumière-Lyon II, 24-25 septembre 1998

L'animal est rare dans l'ensemble des tragédies conservées de Sophocle, tant au coeur de l'intrigue que dans l'expression imagée. Sa présence insistante comme univers de référence à l'expression métaphorique du mal physique - qui terrasse l'Héraclès des Trachiniennes et le héros éponyme de Philoctère- y est d'autant plus remarquable, et informe doublement la maladie qui lui est comparée. L'animal commence à être utilisé comme repoussoir pour penser le statut et les ressources de l'humain, dont les contemporains de Sophocle prennent une conscience plus aiguë. Le recul, inscrit dans l'espace, du monde sauvage face à la civilisation suggère une supériorité ontologique de l'homme, doué d'une intelligence ingénieuse qui lui permet justement de repousser les bêtes. L'image animale peut alors assumer l'ambivalence que la maladie revêt dans les mentalités du siècle de Périclès: dans le climat de confiance en la raison humaine qu'illustre la victoire sur les bêtes sauvages, la "maladie sauvage" s'offre à une appréhension rationnelle où elle peut succomber; inversement, repoussé aux confins, l'animal sauvage demeure un horizon menaçant, n'est plus que l'Adversaire: la blessure réintroduit l'irrationnel et le sauvage au coeur de la cité humaine et de l'homme lui-même. Ainsi, alors que la critique a souvent traité séparément des deux conceptions rationnelle et irrationnelle de la nosos qui cohabitent dans la tragédie comme dans les mentalités athéniennes, on veut montrer que la métaphore est le lieu poétique où elles coexistent, se nouent. Celle-ci soutient d'une part la clinicité de la référence médicale dans nos deux pièces : la description de la maladie "dévorante" offre des caractéristiques proches d'affections relevées dans le Corpus hippocratique, mais aussi des innovations dans la démarche même de cette médecine: 1. accumulation et précision des symptômes évoqués par la morsure et la dévoration; 2. dimension temporelle capitale: les courses errantes et les repas de la bête expriment la durée générale de la maladie, la fréquence et l'évolution des crises; 3. insistance sur l'expression de la douleur: la métaphore entreprend de donner un langage à ce qui est par nature intraduisible. Mais au plus fort de la douleur, le héros atteint les limites de son humanité; il voit la maladie comme un prédateur redoutable qui bouleverse doublement la hiérarchie entre les règnes: prenant les traits diffus du serpent ou du fauve, la maladie est une proie qui s'est jetée sur le chasseur et triomphe de lui avec ses propres armes; non seulement le sauvage affronte l'humain mais le contamine. C'est de ce franchissement que la nosos tire sa dimension tragique et renvoie implicitement à une explication irrationnelle, alors même que sa description fait une place à l'appréhension rationnelle. L'animal traverse la tragédie quand l'animalité de l'homme inquiète le penseur.


Mots-clés :

Tragédie, médecine, métaphore, fauve, maladie sauvage.

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