L’évaluation environnementale est un processus réglementaire visant à évaluer les projets de travaux ou d’aménagements qui peuvent avoir des incidences sur l’environnement. L’étude d’impact comporte un volet « milieux naturels » dans lequel un diagnostic écologique donne un état initial du site, notamment de ses enjeux faunistiques, floristiques et d’habitats, à partir de la bibliographie et de prospections dédiées. Il s’ensuit la proposition de mesures « ERC » (éviter, réduire, compenser) visant une neutralité écologique entre incidences et gains générés. Les Arthropodes constituent de loin le phylum le plus diversifié du règne animal, et devraient logiquement y tenir une place importante. Pourtant, en France, seuls quatre ordres comportent des espèces inscrites dans les textes réglementaires nationaux et européens. Le phylum des Arthropodes y est donc très peu représenté comparativement aux Vertébrés. Cet article questionne la place des Arthropodes dans les études d’impacts, leur utilité pour identifier des enjeux sur leurs habitats, et propose de nouveaux groupes qui pourraient apporter un complément à la fois taxinomique et écologique. L’examen d’un échantillon de 50 études d’impact montre que seuls trois principaux groupes y sont étudiés, tous comportant des espèces protégées : les papillons diurnes (Rhopalocères et Zygaena), les Odonates (Odonata) et les Orthoptères (Orthoptera) ; ainsi que quelques Coléoptères saproxylophages réglementés. Un effet « vase clos » probablement inhérent à la réglementation s’observe, car ces groupes sont ceux sur lesquels les connaissances progressent le plus et qui font l’objet de la plupart des évaluations de type Liste rouge. Ce déséquilibre entre les groupes abordés dans les études d’impact et la diversité réelle des Arthropodes continentaux, de leurs spécialisations et fonctions écologiques, de leurs particularités de répartition, induit que leurs enjeux sont évalués de manière inégale selon les habitats et secteurs géographiques concernés. Ainsi, les papillons diurnes et les Orthoptères mettent principalement en exergue des espèces et des enjeux de conservation pour les milieux prairiaux, puis secondairement les landes, fourrés et garrigues ; les Odonates les milieux dulcicoles. Les Rhopalocères et Odonates comportent également un nombre non négligeable d’espèces à enjeux inféodées aux tourbières et marais. Ces groupes sont globalement de bons indicateurs des enjeux pour ces habitats. Les Coléoptères qui reviennent le plus régulièrement dans les études d’impact mettent surtout en valeur les arbres isolés, le bocage, les alignements d’arbres et les lisières forestières. A contrario, les milieux littoraux et les milieux forestiers fermés ne sont que très peu valorisés par ces groupes. Les papillons diurnes et Odonates sont parmi les Arthropodes avec les plus faibles taux d’endémisme en France métropolitaine, ce qui, de fait, sous-représente cet enjeu de conservation dans les études d’impacts. D’un point de vue fonctionnel, les coprophages, les nécrophages ou encore les prédateurs et décomposeurs litiéricoles sont aussi quasiment oubliés dans les études d’impacts. Cet article propose six groupes pour lesquels les connaissances ont bien progressé depuis 10 ou 20 ans et qui apporteraient un complément écologique et taxinomique aux espèces actuellement utilisées dans les études réglementaires : les Chilopodes (Chilopoda), les Isopodes terrestres (Isopoda, Oniscidea), les Coléoptères « Longicornes » (Cerambycidae et Vesperidae), Scarabaeoidea et Tenebrionidae, les Hétéroptères Pentatomoidea. La plupart des espèces à enjeux de conservation élevés de ces six groupes se situent sur les plages ou les dunes, les forêts ou les milieux tels que les grottes, les falaises ou les éboulis. Les Chilopodes, les Isopodes terrestres et les Coléoptères Tenebrionidae comportent un grand nombre d’endémiques induisant une responsabilité nationale élevée. Les plages et milieux côtiers, de la partie médiolittorale supérieure aux milieux dunaires, constituent l’exemple le plus frappant de sous-représentation au sein des espèces protégées et des groupes actuellement priorisés dans les études d’impact, comportant des dizaines d’espèces spécialisées à enjeux apparaissant menacées et aucun « parapluie » ne permettant de bien les préserver. De façon moindre, il en est de même pour les forêts fermées. Les grottes paraissent d’emblée moins concernées ; cependant, la répartition souvent étroite des Arthropodes endémiques qu’elles abritent leur confère des enjeux à ne pas négliger. Les listes de protection paraissent donc à compléter par d’autres groupes que ceux pris en compte jusqu’ici, mais de manière appropriée aux Arthropodes continentaux : protection priorisant les habitats et non les spécimens, en corrélation avec les particularités de leur étude et de leur biologie. Pour les papillons diurnes, Odonates et Orthoptères, bien qu’un grand nombre d’espèces réglementées demeure pertinent, les listes paraissent à réajuster. La présente étude propose une liste argumentée de 135 espèces à forts enjeux de conservation dans neuf groupes d’Arthropodes. La prise en compte de l’ensemble par les bureaux d’études, les aménageurs et les autorités environnementales permettrait de refléter les enjeux des Arthropodes continentaux dans les études d’impact et donc de prendre des mesures plus adaptées à leur conservation.