Dans les muséums d’histoire naturelle et autres institutions à vocation de conservation, les collections de fossiles sont les trésors des paléontologues. Elles sont les conservatoires du monde vivant des temps géologiques. Il importe aux paléontologues de connaître l’histoire des collections qu’ils consultent pour diverses raisons, que ce soit pour comparer les nouvelles découvertes avec les fossiles déjà connus ou pour réviser la systématique d’un groupe d’organismes ou d’une lignée évolutive. Dans cet article nous nous sommes intéressés à l’histoire de certaines collections de mammifères fossiles conservées dans les Muséums d’Histoire naturelle de Paris, de Bâle, ainsi qu’à l’Université Claude Bernard et au Muséum de Lyon. Derrière ces collections il y a un paysan d’Auvergne, Pierre Philis que Pierre Teilhard de Chardin a qualifié de « fossil hunter » dans une lettre adressée au Professeur Marcellin Boule en 1921, quand celui-ci l’a mandaté pour le rencontrer. P. Philis, né en 1880 dans le hameau de Senèze, commune de Domeyrat en Haute-Loire, a extrait du sous-sol de ses terres, mais aussi d’autres sites un peu partout en France, d’innombrables mammifères fossiles qui font aujourd’hui la richesse de ces musées et autres institutions. C’est probablement en voyant deux savants de Paris (M. Boule et A. Gaudry), accompagnés de notables de la région, venir en 1892 déterrer d’énormes ossements d’un mammouth dans un champ de son village qu’il a dû se passionner pour la recherche d’animaux fossiles. Dès le début des années 1900, il consacre tout son temps libre à la recherche de fossiles dans ses champs à Senèze et propose de vendre le fruit de ses récoltes à des paléontologues de divers pays d’Europe. Dès lors commence une correspondance fournie entre Philis et ses interlocuteurs, en particulier les paléontologues les plus connus de la première moitié du XXe siècle : M. Boule et P. Teilhard de Chardin à Paris ; C. Depéret, C. Gaillard, F. Roman et L. Mayet à Lyon ; H. G. Stehlin, S. Schaub et H. Helbing à Bâle, pour ne citer que les plus célèbres. Durant 35 ans, de 1907 jusqu’à sa mort en 1942, P. Philis a entretenu une relation riche, qui va bien au-delà de simples rapports entre collecteur et acheteurs. Nous avons eu accès à 1300 lettres et cartes postales et à une quarantaine de documents de nature diverse, totalement inédits, conservés dans des archives familiales ou institutionnelles. Les collections du Muséum de Paris, du Musée des Confluences et de l’Université Claude Bernard à Lyon, et du Naturhistoriche Museum à Bâle, conservent plusieurs milliers de spécimens de mammifères fossiles récoltés par P. Philis à Senèze, mais aussi de nombreux autres gisements des départements de la Haute-Loire, du Puy-de Dôme, du Gard et du Vaucluse. Ces collections comportent de nombreux squelettes complets, dont certains sont toujours présentés dans les salles d’exposition permanente de ces musées. Pierre Philis a aussi loué ses services et son savoir de fouilleur et de prospecteur à ses interlocuteurs pour aller prospecter et fouiller là où ses commanditaires l’envoyaient : Chilhac, Soleilhac, Sainzelles, Vialette, Ronzon (Haute-Loire), Les Étouaires, Rocca-Neyra, Mont-Doury, Chambezon (Puy-de-Dôme), Euzet-les-Bains, Souvignargues (Gard), Murs (Vaucluse), etc. La recherche d’hommes fossiles et surtout de « l’Homme tertiaire » était alors dans tous les esprits. Pierre Philis y a participé en découvrant un crâne de Paradolichopithecus à Senèze, en effectuant des tranchées de sondage à La Denise (Haute-Loire). Il a aussi été intermédiaire entre les collectionneurs amateurs et les grands musées pour l’acquisition de collections. Mais la vente des fossiles aux plus offrants et l’exportation de ce patrimoine hors de la région et à l’étranger n’étaient pas appréciés de tous. Certains n’ont pas hésité à le critiquer dans leurs écrits ou à le dénoncer auprès des autorités. Dans les années 1910, plusieurs projets de loi portant sur la réglementation des fouilles préhistoriques et paléontologiques, sur le commerce de fossiles et d’objets archéologiques et leur exportation à l’étranger ont fait réagir C. Depéret et trembler les paléontologues bâlois. Mais ces projets de loi n’ont pas abouti à une réglementation et jusqu’à la fin de sa vie, P. Philis a extrait et vendu des tonnes de fossiles de vertébrés à ses correspondants. Philis faisait-il ce travail uniquement pour gagner de l’argent afin de compléter ses revenus agricoles par la vente de fossiles et/ou en louant ses services ? Certainement pas. Par cette activité il a eu la reconnaissance de grands savants de l’époque qui lui ont dédié de nouvelles espèces. II a été nommé Officier d’Académie et a reçu les honneurs de la République. Par delà, il a assouvi une réelle passion pour la paléontologie des mammifères. Ce sont ces aspects, et bien d’autres, que nous avons essayé de développer dans ce travail. Nous avons suivi les traces de Philis partout où il est allé à la recherche de fossiles. En lisant ses correspondances avec les paléontologues, nous avons tenté de mettre en lumière la concurrence des laboratoires de Paris, Lyon et Bâle, en tenant compte du contexte scientifique de la première moitié du XXe siècle. Pierre Philis, ce paysan de la Haute-Loire, a été en fait un grand acteur de son temps pour la paléontologie des mammifères et pour les collections de plusieurs institutions.
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