Depuis la parution de L’origine des espèces en 1859, les évolutionnistes n’ont cessé de caractériser leurs théories comme « darwiniennes », « non darwiniennes », « antidarwiniennes ». Bien que ces termes soient notoirement ambigus, la référence répétée à Darwin a une signification théorique. Darwin a mis en place un cadre théorique contraignant qui a canalisé les recherches évolutionnistes. Ce cadre est reconstitué dans ses deux aspects originels : « descendance avec modification » et « sélection naturelle ». Dans les deux cas, on classe les critiques qu’ils ont suscitées et l’on compare les modèles particuliers que Darwin a donnés de ces deux versants de sa théorie à ceux qui en ont été donnés au cours des 50 dernières années. La descendance avec modification s’exprime chez Darwin dans un diagramme arborescent dont la forme a fait l’objet de trois principales critiques : refus de la représentation graduelle du changement, refus de généalogies qui concentrent le changement au seul niveau des espèces et réserves au sujet des diagrammes arborescents comme seul mode de représentation des généalogies. Quant à l’hypothèse sélection naturelle, elle a été critiquée et amendée aux deux niveaux de justification invoqués par Darwin : celui de la « simple hypothèse » et celui d’un principe explicatif unifiant l’ensemble des phénomènes constituant l’histoire de la vie. Au premier niveau, trois débats ont dominé les recherches du demi-siècle écoulé : théorie neutraliste de l’évolution moléculaire, sélection de groupe et contraintes de complexité. Au deuxième niveau, les évolutionnistes contemporains ont contesté l’affirmation de Darwin, selon laquelle la sélection naturelle était un principe théorique suffisant pour expliquer des classes de phénomènes, telles que les extinctions, la divergence, l’allure de la documentation fossile et de la classification. En conclusion, l’article examine les positions successives et ambivalentes que S.J. Gould a formulées quant au caractère « darwininien » ou « non darwinien », au sujet de la structure de la théorie contemporaine de l’évolution. Gould est passé de l’affirmation que le darwinisme était « mort », à une vision plus nuancée, dans laquelle il n’a pas été « remplacé », mais a vu ses principes fondamentaux remaniés, par « généralisation » et par « addition » de principes nouveaux. L’article conclut que le cadre théorique mis en place par Darwin s’est maintenu, non au sens des modèles particuliers que Darwin avait mis en place, mais au sens de postulats heuristiques qui ont contraint l’espace des choix théoriques possibles.
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