La fasciolose, ou douve du foie, est une maladie parasitaire du mouton responsable de fortes mortalités dans les troupeaux ovins, ce sans doute depuis le Néolithique. La plus ancienne description incontestable de l’affection est toutefois médiévale, et la fasciolose peut être identifiée dans trois traités agricoles de langue française des XIIIe et XIVe siècles : la Sénéschaucie (anonyme, Angleterre, c. 1270) ; la Hosebonderie de Walter of Henley (Angleterre, c. 1280) ; et Le bon bergier de Jean de Brie (Île-de-France, 1379). Si la « maladie des dauves » que décrit Jean de Brie a déjà fait l’objet de commentaires, la fasciolose semble en revanche n’avoir pas été reconnue dans les deux ouvrages anglo-normands, sans doute parce qu’elle n’y est jamais expressément nommée. Pourtant, leurs descriptions étiologiques et cliniques de la maladie, remarquablement claires, ne laissent aucun doute sur la pathologie en cause. Ces trois textes offrent ensemble un remarquable témoignage sur les capacités d’observation et d’interprétation par les auteurs médiévaux d’un phénomène pathologique complexe, impliquant non seulement leur cheptel domestique, mais également un ver parasite dont le cycle de vie n’a pu être élucidé qu’à la fin du XIXe siècle. Les conditions d’apparition de la maladie y sont correctement identifiées et les critères diagnostiques proposés, tant cliniques que nécropsiques, sont pour certains encore employés de nos jours. La Sénéschaucie va jusqu’à proposer un plan de gestion complexe de la maladie, avec une approche collective impliquant des abattages diagnostiques trisannuels semi-aléatoires, permettant de détecter la présence du pathogène dans l’effectif avant même l’apparition des premiers symptômes. Dans cet article, nous explorons à travers une première traduction française des passages anglo-normands la démarche scientifique adoptée par ces auteurs médiévaux, et confrontons leurs recommandations aux connaissances actuelles sur la douve du foie. En complément, nous présentons les résultats d’autres lignes d’analyse portant sur la fasciolose aux XIIIe et XIVe siècles : exploitation de comptes d’élevage et données archéologiques. Ainsi, ce manuscrit vise, à travers l’exemple de la douve, à mettre en évidence comment une observation empirique rigoureuse d’une maladie animale, portant sur des critères anatomiques, pathologiques et zoologiques, a permis de mitiger ses effets délétères sur l’économie de l’élevage médiéval.
Histoire vétérinaire, histoire de la médecine, Moyen Âge, archéozoologie, élevage ovin, parasitologie.