Le but de cet article est d’évaluer plus précisément le caractère éventuellement problématique de l’allaitement interspécifique dans les sources grecques et latines de la fin de l’époque républicaine et des deux premiers siècles de l’empire, en confrontant d’une part les discours relatifs aux nourrices et à l’allaitement non maternel, d’autre part les récits d’enfance exceptionnelle qui font spectaculairement intervenir des prédateurs, ainsi que les textes poétiques qui ressortissent au « topos de l’insensibilité », forme stéréotypée de reproche où l’ascendance réelle est remplacée par une ascendance fictive mieux à même d’expliquer la dureté ou la cruauté du personnage. Si l’idée de la transmission de caractères par le lait n’est qu’exceptionnellement mise en avant dans les récits d’enfance héroïque ou royale, elle est systématiquement présente lorsqu’on prête à un tiers une nourrice issue d’une espèce lointaine et féroce. C’est ainsi que le bestiaire de l’allaitement interspécifique s’enrichit d’un animal nouveau, la tigresse, promis à une belle fortune littéraire. L’idée d’une transmission de caractères par le lait est une idée bien présente dans la culture romaine, où elle traduit sans doute l’angoisse suscitée par le recours à un lait étranger qu’implique le choix d’un allaitement non maternel. Elle est cependant mobilisée dans des contextes qui sont toujours polémiques ; elle constitue une version possible de la réalité plus qu’une représentation orientant de façon décisive les pratiques. L’absence, dans la société romaine d’époque impériale, d’une véritable parenté par le lait corrobore cette interprétation.
Allaitement interspécifique, Romulus, loup, ours, tigresse, parenté par le lait