Des voies de l’ombre

Comment des humains et des chiroptères forment-ils des communautés ? À l’échelle de la planète, les chauves-souris suscitent des sentiments ambivalents. Elles font travailler les imaginaires et les humains interagissent avec elles de multiples manières. Elles inspirent des mythes. Elles défient la pensée classificatoire. Leur sexualité intrigue et elles posent la question du genre de façon inédite. Elles alimentent la technologie, le biomimétisme. Leurs compétences et leur sensibilité ont été repérées par des collectifs humains qui les mobilisent pour se déplacer, anticiper les typhons, etc. Leurs chairs sont appréciées ou exclues des régimes alimentaires. Elles occupent une place de choix dans la pharmacopée. Furtives et invisibles, nocturnes et discrètes, la sorcellerie les sollicite. Elles incarnent des esprits et des divinités. Elles entrent dans la parenté au sein des clans comme des figures ancestrales. Elles sont représentées tantôt comme des alliées apportant bonne fortune, tantôt comme des ennemies qu’il faut maintenir à distance ou dans « la nature ». Elles se situent au cœur de pratiques rituelles de type initiatique ou sacrificielle. Bien que les chauves-souris existent depuis des millions d’années, plusieurs espèces sont aujourd’hui menacées. Elles sonnent l’alarme à un moment où les humains ne respectent plus les milieux et détruisent l’environnement. Capables de contenir les virus les plus dangereux grâce à un système immunitaire exceptionnel, elles les excrètent dans des situations de stress. Accusées ici des pires maux, elles sont admirées là pour leur rôle écologique comme des défenseurs de la biodiversité. Elles participent à la pollinisation, à la reforestation ou à l’élimination des insectes. Les chiroptères sèment un trouble que ce livre interroge à partir de multiples perspectives.

Frédéric Laugrand est professeur en anthropologie à l’UcLouvain et directeur du Laboratoire d’anthropologie prospective. Ses recherches portent sur les cosmologies autochtones au Canada et en Austronésie, sur l’oralité et la transmission des savoirs, la chasse et les rapports interspécifiques. Parmi ses publications figurent : avec J. Oosten, Hunters, predators and prey. Inuit perceptions of animals (Berghahn Books, 2014), avec C. Buijs et K. van Dam, People, Places, and Practices in the Arctic (Routledge, 2023) et plus de 45 volumes coédités avec des collègues autochtones sur les savoirs inuit (https://nacmedia.ca/books/page/5), et les savoirs blaan, ibaloi, et alangan des Philippines (https://pul.uclouvain.be/collection/?collection_ID=116).

Antoine Laugrand est titulaire d’un PhD en anthropologie (UCLouvain, Belgique). Ses recherches interrogent les rapports des autochtones au territoire et à l’État aux Philippines, et comparent les systèmes d’occupation, de possession, et d’appropriation de la terre. Avec des anthropologues et des autochtones, il a co-édité une série de 22 volumes Verbatim, et co-publié une série d’articles sur les relations aux chevaux, cochons, oiseaux, serpents, et chauves-souris chez les Blaan, les Alangan, et les Ibaloi. Sa monographie Des nomades à l’arrêt a été publié chez Academia en 2021.