Dans le cadre d’un programme de la Commission européenne « Patine du désert » (DG Recherche ; INCO-CT-FP6-2004-509100), portant en partie sur la préservation du patrimoine rupestre saharien, la démarche a conduit à l’étude de la patine de grès du site rupestre d’Oum La Leg (Anti-Atlas, Maroc). La roche et les figurations de style Tazina sont parfois recouvertes d’une pellicule de couleur brun-ocre qui présente seule une patine grise à brun foncé : la patine du désert. L’étude a montré que cette pellicule correspond à un cortex de météorisation dont la formation est contemporaine du ou des derniers épisodes humides de l’Holocène. À la surface, la diversité des patines est liée à une distribution hétérogène d’oxydes de manganèse (birnessite et todorokite) du fait de remaniements qui ont conduit à l’incorporation de silts éoliens. Des solutions de datation sont alors envisagées pour déterminer un âge
Within the framework of the European Commission's program “
The desert patina, or rock varnish, corresponds to a thin dark coating (thickness < 200 μm) of air-exposed rock surfaces in arid and semi-arid areas (
The site of Oum La Leg is located in the Moroccan Anti-Atlas, 50 km southwest of the city of Tata and about 3 km from the village of Oum La Leg. The regional climate is arid (
Samples of calcareous sandstone with a thin coating and patinas were collected away from the engraved art. Samples were cut perpendicular to the thin coating and were embedded in epoxy resin. Subsequently, sections and thin sections were prepared and observed under white light, cathodoluminescence and polarizing light microscopy. Samples (not covered by graphite) have been observed with a low vacuum SEM (JEOL JSM-6460 LV) and elemental concentrations were measured by EDS (INCAx-sight (Oxford industries)) and were reported as oxide weights normalized to 100%. The mineralogical composition of rock, thin coating and patinas was analyzed by X-ray Diffraction using a Siemens D500 (λ (CuKα) = 1.54 Ǻ). Mineralogical determination of Fe and Mn oxides were completed by Raman scattering spectroscopy (Renishaw RM 2000) (emission of the argon-ion laser at wavelength 514.5 nm, power of about 2 mW, 45-scans per accumulated spectrum) and compared with bibliographic data (
The analysis of the texture shows that the thin brown-ochre coating is composed of the same mineralogical components as the rock, except for calcic cement. The orientation of micas and distortions recorded by quartz are evidence which proves its endogenous origin. The high permeability of the cortex has probably made the circulation of fluids easier. Then the decalcification of the cement played ceaselessly on the rock and engraved art. Calcic cement has constituted the source of manganese in the black patina and the formation of the cortex coincides then with the release of manganese. An evolution and reorganization of the black patina are also shown by the incorporation of aeolian clay and silt. As regards the brown patina with grey marks, its formation corresponds to the destruction or alteration of the black patina. Its Mn concentration is less important and only birnessite is present. It is difficult to say if this Mn comes from ancient black patina or new decalcification of the cement. A study of the impact of lichens (
The study of the modifications of texture in the subsurface of calcareous sandstone from Oum La Leg (Anti-Atlas, Morocco) shows a peculiar aspect, with the presence of a friable weathering cortex. This has occurred during one or several unspecified events of the Holocene. Weathering reactions happened, however, ceaselessly on the engraved lines and on rock, with the disappearing of calcic cement. Microlamination of manganese does not signal a stratigraphic recording, as could have been suggested in other cases (
La patine du désert recouvre les surfaces de roches exposées à l’air des régions arides et semi-arides. D’une coloration brun foncé à noire et d’une épaisseur rarement supérieure à 200 μm (
Le site d’Oum La Leg est situé dans l’Anti-Atlas marocain, à 50 km au sud-ouest de la ville de Tata et à environ 3 km du village du même nom (
Le site s’étend tout le long d’une crête rocheuse en forme d’épingle, longue de 3 km et large de quelques dizaines de mètres (
Les gravures de ce site sont en majorité de style Tazina et leur recensement met en évidence une majorité d’antilopes (de l’ordre de 36 %), de bovidés (15 %) et d’autruches (8 %) (
Les gravures de style Tazina se trouvent toutes sur des grès calcaires de teinte grisâtre du Dévonien inférieur ; ce sont des roches d’une grande dureté se présentant en blocs massifs, de dimension décimétrique à métrique. À leur surface, il peut exister une pellicule brun-ocre à brun-rouge, d’une épaisseur variant du millimètre au centimètre, sur laquelle se localise la patine du désert de couleur gris-noir à brune. La patine noire est plus ou moins représentée ; éparse, elle n’est conservée que sur quelques parties des blocs, dans les creux et/ou au fond des traits de gravure. Des passées grisâtres sont à signaler à proximité de la patine noire, mais le plus souvent la surface de la pellicule brun-ocre est seulement d’une teinte légèrement plus sombre (patine ocre), ou bien sans patine.
Il s’agit d’expliquer l’origine et la composition de la pellicule et de la patine, afin d’établir les relations qu’elles ont entres elles et avec l’art rupestre.
Des échantillons représentatifs de l’affleurement ont été prélevés par les Drs. M. El Graoui et S. Searight-Martinet, sur des blocs ne portant pas de gravure. Sur les prélèvements de grès gris, la pellicule brun-ocre recouvre les surfaces qui n’ont pas été érodées par le vent, tandis que la patine noire qui ne subsiste qu’en lambeaux ne constitue que très localement un revêtement total. De la patine noire aux pellicules brun-ocre et aux passées grisâtres, les surfaces présentent toute une gamme de coloration.
Les prélèvements ont été débités perpendiculairement à la pellicule brun-ocre, enrobés à l’araldite (HY958), puis polis pour la préparation de lames épaisses ou minces. L’appareillage utilisé pour l’observation en lumière blanche et en cathodoluminescence comporte une loupe binoculaire (Wild Heerbrugg) (grandissements jusqu’à × 50) et une caméra haute définition (Leica DC 300 FX). Les conditions opératoires pour l’analyse en cathodoluminescence sont un vide primaire de 50 mTorr dans la chambre d’observation et un réglage de la tension d’accélération de 10 kV. L’équipement de microscopie électronique à balayage (JEOL JSM-6460 LV) a permis l’analyse de lames minces non recouvertes et non métallisées (à une pression de 20 Pa). Les analyses de la composition élémentaire ont été acquises via un dispositif de spectrométrie de rayons X en dispersion d’énergie (mode EDS ; INCAx-sight (Oxford Industries)), couplé à la microscopie électronique à balayage (tension d’accélération de 20 kV, distance de travail de 10 mm, taux de comptage de 16 000 à 2000 coups par seconde et gamme d’énergie analysée de 0 à 20 keV). Les données ont été normalisées à 100 % et exprimées sous forme d’oxyde.
L’analyse globale des constituants minéralogiques a été réalisée en diffraction de rayons X, au moyen d’un diffractomètre de poudre Siemens D500 (λ (CuKα) = 1,54 Ǻ). L’étude des minéraux argileux a nécessité leur isolement du reste du broyat par sédimentation (méthode à la pipette de Robinson). Pour des identifications minéralogiques ponctuelles, l’appareillage utilisé est un spectromètre Raman Renishaw RM 2000, équipé d’un laser argon ionisé fonctionnant à une longueur d’onde de 514 nm (vert-bleu) et couplé à un microscope confocal Leica. Les spectres ont été obtenus par l’accumulation de balayages successifs (30 à 40) à faible puissance (1 à 2 mW). Leur traitement a été effectué via le logiciel Grams 32 et la détermination des oxydes de manganèse selon des données bibliographiques (
Les grès calcaires de texture fine sont constitués essentiellement de quartz isogranulaires dont les diamètres des grains sont toujours inférieurs à 60 μm (
En ce qui concerne la texture de la pellicule brun-ocre, seul le ciment calcitique est absent : les quartz, feldspaths et micas présentent une granulométrie et une orientation identiques à celles de la roche (
L’analyse de la texture de la pellicule brun-ocre montre que celle-ci est composée des mêmes phases minéralogiques que la roche, à l’exception du ciment calcique, absent quasi-systématiquement. L’orientation des micas et les déformations enregistrées par les quartz et les feldspaths sont autant d’éléments qui montrent son origine endogène. Il s’agit d’un cortex de météorisation dont l’absence de ciment calcique explique la fragilité. La formation du cortex par la décalcification du ciment de la roche s’est produite durant une ou plusieurs phases humides de l’Holocène. Il ne semble pas que les réactions hydrolytiques aient été très poussées, puisque les feldspaths (surtout les plagioclases, les plus sensibles à l’hydrolyse) ne présentent pas de signe d’altération. La forte perméabilité du cortex a probablement facilité la circulation de fluides, l’altération du ciment s’est produite continûment et de ce fait, le cortex a acquis une épaisseur homogène. La corrosion a usé préférentiellement la surface, selon son orientation au vent et/ou ses différences de dureté.
S’il est impossible de savoir si la roche possédait déjà un cortex durant la réalisation de l’œuvre, il est indéniable que le trait de gravure a été pratiqué par incision de la roche. Sinon, la formation d’un nouveau cortex n’aurait pas conservé les traits de gravure et la corrosion aurait détruit le cortex qui porterait seul la figuration.
Pour la
La présence de plusieurs dioxydes de manganèse (todorokite, birnessite et nsutite) traduit l’existence de domaines de précipitation distincts, « délimités » par le potentiel d’oxydo-réduction du milieu, la valeur de pH et la concentration du manganèse en solution (
Pour la
La destruction ou du moins la disparition partielle de la patine noire, se traduit par la formation de la patine brun-ocre à passées grisâtres. Ici, la teneur moins importante du manganèse en solution conduit à la formation de birnessite seule. Dans ce cas, il est difficile de déterminer si le manganèse provient directement du ciment ou du remaniement de patines noires préexistantes. De même, si les réactions mises en jeu sous-entendent des conditions humides, elles ne permettent pas pour autant de préciser à quel événement elles correspondent, d’autant que l’étude de l’impact de lichens (
Pour la
En ce qui concerne les patines ocre, très pauvres en manganèse, elles correspondraient à un seul dépôt éolien plus récent. L’origine éolienne est confirmée par la présence des silts à la forme émoussée. Leur « orientation de forme », parallèle à la surface de la roche, traduit une action de l’eau pour laquelle les rares précipitations actuelles suffisent probablement.
L’étude des modifications de texture en sub-surface des grès calcaires d’Oum La Leg (Anti-Atlas, Maroc) montre un aspect singulier vis-à-vis des grès, par la formation d’un cortex de météorisation fragile. Les réactions hydrolytiques ayant eu cours se sont produites tout aussi continûment, au niveau du trait de gravure, que du reste de la roche par disparition du ciment calcique.
Les données concernant la texture des patines ne signalent pas un enregistrement stratigraphique par les lamines de manganèse, qui puisse être corrélé aux données paléo-environnementales, comme il a pu être suggéré dans d’autres cas (
Localisation du site d’art rupestre d’Oum La Leg (Anti-Atlas, Maroc) (A). Situé le long d’un flanc de pli, il domine une ancienne sebkha (B). Au pied de la figuration d’autruche de style Tazina (C), la dalle présente une patine sombre sur une pellicule brun-ocre, alors que le reste de la surface gravée apparaît directement sur le grès calcaire.
Map of the site of rock art from Oum La Leg (Anti-Atlas, Morocco) (A). Located along a fold limb, it dominates an ancient sebkha (B). At the feet of the ostrich engraved in the Tazina style (C), the slab shows a thin brown- ochre coating. The rest of the engraved surface appears without it.
Images en lumière naturelle (A), en cathodoluminescence (CL) (B) et microscopie de polarisation (LPA) (C) de la coupe transversale de la pellicule brun-ocre d’un échantillon de grès calcaire (Oum La Leg, Anti-Atlas, Maroc) ; La pellicule brun-ocre se distingue de la roche par la disparition du ciment calcitique (luminescence orangée en CL), alors que les autres constituants minéralogiques présentent les mêmes granulométrie et orientation (LPA).
Images under white light (A), cathodoluminescence (B) and polarizing light microscope (C) of the brown-ochre thin coating cross section of a sample of calcareous sandstone (Oum La Leg, Anti-Atlas, Morocco). The brown-ochre thin coating distinguishes itself from the rock by the disappearance of the cement (orange luminescence under CL). The other mineralogical constituents show the same grain size, distribution and orientation (LPA).
Spectres Raman de la patine noire d’un échantillon de grès calcaire (Oum La Leg, Anti-Atlas, Maroc). En surface et au niveau des lamines de manganèse, le signal Raman exprime la contribution de dioxydes de manganèse (birnessite (502, 575 cm−1) et todorokite (590 cm−1)) et d’oxyde de fer (hématite (410 cm−1, 611 cm−1, 661 cm−1)). Plus en profondeur, l’analyse permet de préciser la présence d’un autre dioxyde de manganèse (nsutite (395, 514 et 638 cm−1)) qui englobe un quartz (464 cm−1).
Raman scattering spectra of black patina of a sample (calcareous sandstone, Oum La Leg, Anti-Atlas, Morocco). In surface and in the layering of manganese, the Raman signal shows the presence of manganese dioxides (birnessite (502, 575 cm−1) and todorokite (590 cm−1)) and hematite (410 cm−1, 611 cm−1, 661 cm−1). At the base of the patina, another dioxide (nsutite (395, 514 and 638 cm−1)) includes one quartz (464 cm−1).
Teneurs élémentaires déterminées par MEB-EDS dans les patines (noires, brunes à passées grises et ocre) et le ciment d’échantillons de grès calcaires (Oum La Leg, Anti-Atlas, Maroc). Les teneurs en sodium, phosphore, titane et cérium, proches ou inférieures à 1 % quand ces éléments sont détectés, ne sont pas représentées.
Elemental contents, determined by SEM-EDS analyses, in the various patinas (black, brown with grey marks and ochre) and rock cement of samples of calcareous sandstone (Oum La Leg, Anti-Atlas, Morocco). Elemental contents of sodium, phosphorus, titanium and cerium, close to 1 % when they are detected, are not represented.