Dans son « Éloge historique de Charles Louis L’Héritier », lu à la tribune de l’Institut national le 15 germinal de l’an X (5 avril 1801), Georges Cuvier (1769–1832) soulignait, à propos de l’histoire naturelle, que « nulle description ne peut suppléer aux figures », et que « les plus grands talents ne suffisent pas pour faire de bonnes figures, s’ils ne sont dirigés par la science. » À cette époque de la naissance de la paléontologie, la fonction de l’image scientifique était uniquement d’illustrer le discours de la science. Mais Georges Cuvier en avait déjà saisi la dimension originale irremplaçable et, aujourd’hui, l’image peut d’ailleurs constituer le discours. Car l’image est également devenue une donnée factuelle, le point nodal, à partir duquel le raisonnement scientifique s’élabore et se construit.
L’image scientifique est généralement une représentation bidimensionnelle d’un objet ou d’un ensemble d’objets obtenue par les beaux-arts comme le dessin ou la photographie. L’image est alors une simple représentation de ce que l’œil perçoit, avec ou sans l’aide d’instruments optiques (par exemple une photographie de l’étamine d’une marguerite), ou de ce que l’esprit scientifique imagine (par exemple un dessin de la répartition des planètes de notre système solaire).
Les développements et les synergies de différentes sciences (optiques, physiques, physico-chimiques, électroniques, informatiques, des matériaux, etc.) permettent aujourd’hui de visualiser ce que l’œil ne peut voir et, parfois, de révéler ce que l’esprit ne pouvait concevoir. Les progrès en imagerie scientifique, dont bénéficient en priorité les sciences appliquées, en particulier dans le monde médical et industriel, profitent également aux sciences fondamentales, telles que la paléontologie et la paléoanthropologie.
Les nombreuses techniques d’imagerie appliquées en paléontologie et en paléoanthropologie, dont les principales sont présentées dans ce fascicule thématique, reposent principalement sur les principes de la numérisation surfacique et de la numérisation volumique. Ces techniques permettent d’enregistrer et de représenter les informations tridimensionnelles des objets d’étude, alors manipulables et quantifiables virtuellement, qu’ils soient de la taille d’une strie de croissance de l’émail dentaire, ou de la grotte de Lascaux.
La numérisation surfacique est réalisée grâce aux bras de mesure (avec ou sans contact avec l’objet) et aux technologies de mesure par projection de franges de lumière et par laser (sans contact avec l’objet). Ces outils permettent de numériser rapidement la surface d’objets de toutes dimensions. L’un des nombreux avantages de la numérisation surfacique est le possible transport des appareils de mesure auprès de l’objet d’étude. Les applications sont multiples, de la
La numérisation volumique, actuellement par tomodensitométrie ou par résonance magnétique nucléaire, permet l’accès à la matière et aux structures internes des objets, sans altération de ces objets. Le vieux rêve de voir l’inaccessible « envers des choses » enfin réalisé, la porte ouverte aux trésors cachés dans les écrins scellés par la matière et le temps. Ce rêve, les paléontologues du siècle dernier l’avaient également. Ils n’hésitaient pas à utiliser l’ingénieuse, mais très fastidieuse technique dite des sections sériées de Sollas, permettant la construction de modèles en cire des structures internes d’un fossile, à partir de la reproduction des structures anatomiques observables sur les coupes (les sections obtenues par sciage ou polissage) réalisées à intervalle régulier sur ce fossile. Les inconvénients majeurs étant le temps nécessaire à la réalisation et surtout la forte dégradation, voire la disparition, de l’objet d’étude. Les rayons X, découverts en 1895 par l’Allemand Wilhelm Röntgen, associés à l’outil informatique, permettent aujourd’hui des acquisitions, par tomodensitométrie, sur des matériaux anciens de tailles et de densités variables, sans aucune altération, ni dégradation de l’objet d’étude en dehors de l’exposition au rayonnement. Le choix des techniques d’acquisition (principalement scanners médicaux, micro- et nano-tomographes conventionnels, lumière synchrotron) est très dépendant des caractéristiques de l’objet d’étude, de la précision des mesures et de la résolution souhaitées, et du type d’application envisagée.
Malgré un usage courant de subsomption ou souvent abusif du terme “3D”, qui favorise facilement les amalgames en tous genres, les sciences d’étude des organismes anciens s’enrichissent donc du lexique émergent des techniques d’imagerie. Y participe dorénavant l’emploi plus approprié, dans la littérature, des expressions nouvelles de “paléontologie augmentée”, de “paléontologie ajoutée” ou de “paléoanthropologie virtuelle” (présentée dans ce volume). En complément, et dans le cadre de cette réflexion, le vocable de
Les techniques d’imagerie et de
Sur la proposition de Philippe Taquet, professeur au Muséum national d’histoire naturelle et membre de l’Académie des sciences, nous avons eu le plaisir d’accepter de coordonner ce fascicule thématique articulé autour de l’imagerie appliquée à la paléontologie et à la paléoanthropologie. Nous le remercions ici de sa confiance et de son bienveillant soutien au cours de cette aventure éditoriale.
Chaque contribution de ce volume est, bien évidemment, dédiée à un champ de recherche particulier, avec un matériel d’étude, des méthodes d’analyse, des résultats inédits, et des hypothèses scientifiques qui forment, pour chacune, une entité indépendante des autres contributions. L’ordre d’apparition des contributions suit cependant une logique, qui s’articule autour d’une présentation classée par technique ; et, pour chaque technique, par ordre taxonomique (par grands clades).
L’article de
La contribution de
Les articles de
Les participations de
La contribution de
Les articles de
La contribution de
Les travaux de
La dernière participation, de
Ce volume réuni 85 auteurs de 13 nationalités, montrant, s’il en était besoin, l’intérêt suscité par l’imagerie en sciences paléontologiques et paléoanthropologiques aux chercheurs du monde entier, et l’efficience des collaborations internationales sur des projets de recherche innovants et aux méthodes d’analyse de haute technologie. La très grande majorité des contributeurs de ce volume ont moins de 40 ans et la moitié des premiers auteurs ont moins de 30 ans. Cette jeune dynamique scientifique laisse présager de l’avenir prometteur de l’imagerie appliquée aux sciences naturelles, aux possibilités sans doute encore sous-estimées. L’amélioration technique de la qualité des sources des instruments (laser, faisceau de rayons X, etc.), des détecteurs et des algorithmes de reconstruction, couplée aux développements constants des ressources computationnelles ouvrent un large champ des possibles. Les associations et combinaisons entre différentes sources d’acquisition (IRM, CTscan, numérisation surfacique, etc.) et entre les nombreux logiciels de traitement et post-traitement (rétrodéformation, exploitation FEA, prototypage,
L’accès facilité et structuré aux différents grands instruments scientifiques (comme les synchrotrons), conjugué à l’accès aux instruments classiques de laboratoire, généralement regroupés au sein de grandes plates-formes analytiques, autorise sans aucun doute des progrès considérables dans la compréhension des objets paléontologiques. De plus, des couplages analytiques avec l’imagerie 2D par rayonnement X (absorption et diffraction) et infrarouge, ainsi qu’avec l’imagerie 4D, octroient un potentiel de compréhension des objets d’étude concernant leur structure, composition, chimie, processus de fossilisation, taphonomie, morphologie fonctionnelle, etc.
La numérisation des objets de paléontologie et de paléoanthropologie a donc de sérieux atouts en raison de sa polyvalence, dans le cadre de la recherche scientifique. Elle a également des avantages pour la conservation/valorisation des collections, la présentation interactive ou encore la sauvegarde numérique du patrimoine. Ainsi, la numérisation permet de conserver une mémoire des spécimens. Toutes les données issues de numérisations en 3D peuvent être enregistrées sur différents supports informatiques et conservées numériquement. La perte ou la destruction d’un spécimen serait pour partie compensée, s’il a été scanné, par l’existence de sa mémoire virtuelle. Les réseaux collaboratifs entre les institutions scientifiques peuvent être renforcés autour de synergies de recherche sur les applications de l’imagerie appliquées aux matériaux des sciences naturelles, à travers la mise en place de banques de données d’images et de bases de données d’indexation des modélisations volumiques. Par une gestion appropriée, les données numérisées donnent la possibilité d’être mises à disposition, étudiées et analysées simultanément par la communauté internationale via les réseaux informatiques. Enfin, la numérisation permet une reproduction physique des modèles virtuels, à volonté et à presque toute échelle de taille par prototypage rapide sur imprimante 3D, pour des finalités de recherche, de diffusion, d’exposition ou d’enseignement.
L’objectif de départ, ambitieux s’il en était, de réunir en un même volume une vingtaine de contributions présentant des résultats scientifiques inédits, obtenus par des acquisitions et méthodes d’imagerie variées, à partir de matériel d’étude diversifié du monde de la paléontologie et de la paléoanthropologie a, nous semble-t-il, en grande partie été atteint. Le mérite en revient à l’ensemble des auteurs dont les qualités scientifiques, didactiques et esthétiques des contributions feront, nous l’espérons, de ce volume thématique un ouvrage de référence pour toute personne intéressée par les possibilités de l’imagerie appliquée à la paléontologie et la paléoanthropologie. Le public ciblé est, outre les membres de la communauté scientifique investis dans les thématiques de recherche abordées dans ce volume, le monde étudiant (particulièrement de master et de thèse) pouvant trouver ici des solutions ou des méthodes d’étude transposables à leurs problématiques de recherche, comme à leurs explorations bibliographiques.
Pour finir, nous tenons à faire part de nos remerciements, sincères et appuyés, aux auteurs des contributions présentes dans ce volume qui, autant professionnellement qu’amicalement, ont respecté les délais et précautionneusement suivi les consignes de publication, ainsi qu’à l’ensemble de l’équipe éditoriale des Comptes Rendus de l’Académie des sciences Palevol, en particulier nos principales interlocutrices, mesdames Arlette Soulacroup, Christine Gray et Hélène Paquet.
In his “
A scientific image is generally a two dimensional representation of an object obtained as a drawing or a photograph. The image is a thus simple representation of what the eye sees, with or without the help of optical instruments (e.g. a photograph of the stamen of a daisy), or of what the scientific mind imagines (e.g. a drawing of the distribution of the planets in our solar system).
Advances and synergies of various sciences (optics, quantum-physics, physico-chemistry, electronics, computing, material sciences) now allow us to visualize today what the eye cannot see, and sometimes what the mind cannot anticipate. Progress in scientific imaging, which has primarily benefited applied sciences, particularly in the medical and industrial fields, can also be invaluable in fundamental sciences, such as palaeontology and palaeoanthropology.
Numerous imaging techniques are applied to palaeontology and palaeoanthropology, some of the most important of which are presented in this thematic issue. These techniques are principally based on surface and volume digitization. They produce images that can be stored, representing the three-dimensional objects under study, thus permitting their virtual manipulation and quantification, be they the size of a growth stria in dental enamel, or the entire Lascaux cave.
Surface digitization is made with a tool setting arm (with or without contact with the object) and with measurement technologies using the projection of light fringes, and by laser (without contact with the object). These tools allow a rapid digitization of the surface of objects of any dimensions. One of the many advantages of surface digitization is the possibility of moving the apparatus around the object under study. Applications are numerous, ranging from
Volumetric digitalization using tomodensitometry or nuclear magnetic resonance gives access to the internal matter and structure of objects, without damaging them. The old dream of seeing the inaccessible, “the inside of things”, is finally possible, and the door has been opened to treasures previously hidden by barriers, sealed by material and time. This dream was also that of palaeontologists of the last century. They did not hesitate to use the ingenious but fastidious technique of Sollas – serial sections, allowing the construction of wax models of internal structures of a fossil from the reproduction of the anatomical structures visible in the sections (obtained by sawing or polishing) of the fossil made at regular intervals. The major inconvenience was the time necessary to make the model, and the severe damage, if not complete destruction, of the object under study. X-rays, discovered in 1895 by the German Wilhelm Röntgen, associated with data processing, today allows tomodensitometric acquisitions from ancient material of different sizes and densities, without any alteration of, or damage to, the object under study, apart from the X-ray exposure. The choice of acquisition techniques (generally medical scanners, conventional micro- and nanotomographs, synchrotron scanning) is very dependent on the characteristics of the object under study, the precise resolution required, and the type of application envisaged.
Despite the frequently excessive or incorrect use of the term “3D”, which can easily lead to confusion, the study of ancient organisms has been enriched by the imaging vocabulary. This includes a more appropriate use of new expressions that can now be found in literature, such as “added palaeontology”, “augmented palaeontology” or “virtual anthropology” (introduced in this volume). In this context, the additional word
Imaging and
Philippe Taquet, Professor at the
Each contribution in this issue is dedicated to a specific area of research, with its own type of research material, its own analytical methods, its own original results and scientific hypotheses, which make each article independent of the others. The order of publication is, however, logical, being classed by technique, and for each technique, ordered by taxonomy (by major clades).
The article by
The contribution of
The articles by
The contributions of
The articles by
Finite element analysis is used by
The last contribution, from
This issue has brought together 85 authors of 13 nationalities, demonstrating the interest in imaging in palaeontological and palaeoanthropological sciences shown by researchers all over the world, and the usefulness of international collaborations for innovative research projects and advanced analytical methods. The great majority of contributors to this issue are less than forty years old, and half the first authors are less than thirty. This young, dynamic, scientific community indicates a promising future for imaging in natural sciences, whose possibilities are still under-estimated. Improvements in instrumentation, such as the quality of the sources used (laser, X-rays, etc.), the detectors and the reconstruction algorithms, coupled with the constant developments in computing resources, open a large field of possibilities. The advantages of combining results from different acquisition sources (MRI, CT-scan, surface digitalization, etc.) and using different programmes for data acquisition and analysis (retro-deformation, Finite Element Analysis, prototyping, reverse engineering, etc.) greatly increase the possibilities of observation, examination and analysis.
Wider access to the different large scientific instruments (like synchrotrons), coupled with access to more classical laboratory equipment, grouped into large analytical platforms, will undoubtedly lead to much progress in the understanding of palaeontological objects. Moreover, coupling analytical techniques with 2D X-ray (absorption and diffraction) and infrared imaging, as well as 4D imaging, allows a potential of understanding of the object under study – concerning its structure, composition, chemistry, fossilisation process, taphonomy, functional morphology, etc.
The digitization of palaeontological and palaeoanthropological material is of great interest because of its polyvalence in scientific research. It also provides real advantages for the conservation/exploitation of collections, and in interactive presentations. Thus digitization allows the conservation of a memory of a specimen. All data derived from such 3D digitization can be stored on various media and conserved numerically. The loss or destruction of a specimen can in part be compensated, if it has been scanned, by the existence of its virtual memory. Collaborative networks between research institutions can be reinforced by synergies produced by the application of imaging to natural materials, using data banks of images and data bases indexing of volumetric models. If appropriately treated, the digitized data can be made widely available, studied and analysed simultaneously by the international community via computer networks. Finally, digitization allows a physical reproduction of virtual models, in any number, and at almost any scale, using 3D printers, for research, distribution, and exhibition or teaching purposes.
Our ambition was to collect, in the same issue, about twenty articles presenting new scientific results, obtained by different acquisition and imaging methods, from diverse materials under study in the fields of palaeontological and palaeoanthropological research. This appears to us to have been largely achieved, thanks to the authors. The scientific, didactic and aesthetic qualities of the articles will make this thematic issue, we hope, a work of reference for everybody interested in imaging in palaeontology and palaeoanthropology. In addition to the scientific community working on the topics covered here, students (particularly at Master and Thesis levels) will hopefully find here solutions and methods of study, which can be applied to their own research problems or bibliographic explorations.
To finish, we thank sincerely the authors of the articles presented in this issue, who, in a very professional manner, have respected deadlines and followed carefully the instructions for publication, as well as the editorial team of the Comptes Rendus Palevol, in particular our contacts, Arlette Soulacroup, Christine Gray and Hélène Paquet.