Nos connaissances sur la diversité et l’évolution des dinosaures saurischiens non-aviens se sont considérablement élargies durant la dernière décennie, du fait essentiellement de la découverte et de la description de 176 nouveaux genres, provenant pour près de la moitié d’entre eux d’Asie. On en sait maintenant, par exemple, beaucoup plus sur la diversité des saurischiens au Crétacé inférieur. L’usage généralisé de la cladistique permet de mieux appréhender l’histoire des saurischiens, même si de nombreuses controverses subsistent (monophylie des prosauropodes et des cératosaures, relations phylogénétiques des titanosaures et des coelurosaures) et si de nouveaux problèmes épistémologiques sont apparus avec l’usage de définitions phylogénétiques concurrentes. L’histoire évolutive des saurischiens est intimement liée à deux des cinq grandes extinctions de masse, qui ont ponctuées l’histoire du vivant : les crises Trias–Jurassique et Crétacé–Tertiaire. Elle ne peut, cependant, être réduite à ces deux seuls événements, puisqu’elle commence 25 millions d’années avant la première, et qu’une troisième crise de moindre ampleur, celle du Pliensbachien–Toarcien pourrait avoir eu un impact non négligeable sur la diversification des grandes lignées de saurischiens.
We propose here a short synthesis of the saurischian evolutionary history. Our knowledge of the diversity and evolution of the saurischian non-avian dinosaurs has increased during the past decade. The generalized use of cladistics has led to various phylogenetic hypotheses, some of them in agreement on the evolution of saurischians, even if some controversy remains. The saurischian evolution is closely linked to two of the five great mass extinctions, which punctuated life history, but probably also to a third, less important, extinction event at the end of the Early Jurassic.
Our knowledge of the diversity and evolution of the saurischian non-avian dinosaurs has increased during the past decade, thanks to new discoveries and to the description of 176 new genera (85 sauropodomorphs and 91 theropods), nearly half of them coming from Asia (see the Supplementary Material). The Early Cretaceous diversity of saurischians, for example, is better known than ten years ago, mainly because of the discovery of the dinosaurs from the Liaoning Province in China. The generalized use of cladistics led to various phylogenetic hypotheses, some of them in agreement on the evolution of saurischians, even if some controversy remains concerning the monophyly of prosauropods and ceratosaurs or the phylogenetic relationships of titanosaurs or coelursaurs (
The saurischian evolution is closely linked to two of the five great mass extinctions which punctuated life history: the Triassic-Jurassic and the Cretaceous-Tertiary extinction events. However, it cannot be reduced to these single events. First, because it begins 25 million years before the Triassic-Jurassic boundary, and then because a smaller extinction event in the Early Jurassic might have played a large part in shaping the Middle Jurassic to Early Cretaceous saurischian faunas.
Les termes Saurischia et Ornithischa ont été introduits pour la première fois par Harry Govier Seeley, en 1887, pour différencier deux ordres, selon lui, bien distincts, de reptiles réunis auparavant par Owen (1842) dans un groupe baptisé Dinosauria. La monophylie des dinosaures, aussi bien que celle des ornithischiens et des saurischiens, est maintenant reconnue par tous. Les saurischiens, avec près de 10 000 oiseaux pour les représenter dans la nature actuelle, sont l’un des groupes de vertébrés qui a connu l’histoire évolutive la plus extraordinaire qui soit, avec des formes allant du brachiosaure au colibri en passant par l’allosaure. Environ deux tiers des espèces de dinosaures non aviens connues à l’heure actuelle appartiennent au groupe des saurischiens
Pas moins de 176 nouvelles espèces de saurischiens ont été décrites durant la dernière décennie (1997–2007), parmi lesquelles 85 sauropodomorphes et 91 théropodes. Les distributions géographique, stratigraphique et systématique de ces 176 nouvelles espèces (
Les saurischiens ont fait l’objet de très nombreuses analyses cladistiques, depuis les travaux pionniers de Gauthier en 1986, pour déterminer leurs relations évolutives. Un grand nombre des descriptions de nouveaux taxons de saurischien s’est accompagné, durant cette décennie, d’une analyse cladistique. Si chaque nouvelle analyse cladistique doit être considérée indépendamment de celles effectuées antérieurement, par le simple fait qu’elle renferme un nouveau taxon et/ou quelques nouveaux caractères, il n’en demeure pas moins que certaines matrices de caractères ont servi et serviront encore de référence aux analyses phylogénétiques de nombreux auteurs, aussi bien chez les saurischiens basaux
Les plus anciens saurischiens avérés connus datent du début du Trias supérieur (Carnien) et proviennent tous d’Amérique du Sud. Certains taxons incomplets et basés sur du matériel dont l’association est douteuse, comme
Les Sauropodomorpha constituent, avec les ornithischiens, un des deux groupes majeurs de dinosaures herbivores. Toutes les phylogénies s’accordent sur le fait que
Jusqu’à très récemment, les sauropodomorphes étaient subdivisés en deux sous-groupes monophylétiques : les prosauropodes connus du Trias supérieur au Jurassique inférieur et les sauropodes connus eux aussi dès le Trias mais ne s’éteignant qu’à la fin du Crétacé
La paraphylie des prosauropodes et l’incertitude entourant les relations de parenté des sauropodomorphes basaux sont à l’origine d’un problème épistémologique : celui de la définition du taxon Sauropoda. Il y a encore dix ans,
Malgré ce problème de définition, trois taxons du Trias :
Le clade des Gravisauria qui regroupe les eusauropodes et les vulcanodontidés a été récemment créé, d’une part, parce qu’il est commun à toutes les analyses phylogénétiques récentes et que son contenu est stable et, d’autre part, parce que la radiation adaptative des Gravisauria à la fin du Jurassique inférieur et au début du Jurassique moyen est sans doute la plus importante qu’aient connue les sauropodes
Même si les relations de parenté de nombreux taxons d’eusauropodes basaux sont très mal résolues (
L’autre groupe de néosauropodes, les Macronaria, se singularise par des centra de vertèbres dorsales postérieures opisthocoeles, par un métacarpe long (proportionnellement au radius) et un métacarpien I plus long que le métacarpien IV, et par un contact étendu entre le pubis et l’ischion
La radiation des gravisauriens au Jurassique moyen correspond également à la mise en place de certaines des innovations-clés chez les sauropodes : l’élongation du cou par suite de l’allongement des vertèbres cervicales et/ou du passage de dix à 13, voire 16, vertèbres cervicales par incorporation de vertèbres dorsales dans la série cervicale et duplication de vertèbres cervicales des spécialisations dentaires liées à l’herbivorie une modification du crâne, avec notamment une rétraction des narines : chez les prosauropodes traditionnels, les narines sont de taille réduite comparée à celle de l’orbite et sont positionnées latéralement, en position terminale à l’avant du museau. En revanche, chez les Gravisauria, elles s’élargissent pour devenir aussi grandes, voire plus, que les orbites et sont en position plus reculée. Le cas extrême de rétraction est acquis indépendamment par les Titanosauria et les Diplodocoidea qui possèdent des narines sans barre internasale, positionnées au-dessus des orbites la morphologie de la main : chez les Gravisauria basaux, les métacarpiens sont assemblés de manière à former un large arc de cercle, accompagné d’une posture subonguligrade inclinée
Les Titanosauria forment un clade remarquable par bien des aspects. Ils n’apparaissent dans le registre fossile qu’à la fin du Jurassique supérieur, puisque
Longtemps apparentés aux diplodocoïdes, avec lesquels ils partagent de nombreux caractères convergents (dents cylindriques, narines rétractées au-dessus des orbites), les Titanosauria forment bien un groupe distinct de sauropode
Les théropodes sont connus comme le groupe des dinosaures carnivores, même si le régime alimentaire de certains coelurosaures est loin de faire l’unanimité
À l’image des sauropodomorphes, les théropodes ne sont que très peu diversifiés durant le Trias et le début du Jurassique inférieur et, à l’heure actuelle, ne sont représentés essentiellement que par les Coelophysoidea, un groupe de prédateurs relativement petits ne dépassant pas les 4 m de longueur. Si la monophylie des coelophysoïdes n’a jamais été contestée et est soutenue par de nombreux caractères
D’un point de vue du registre fossile, le groupe des Coelophysoidea (en y incluant les taxons apparentés à
Comme chez les sauropodes, la fin du Jurassique inférieur et le Jurassique moyen sont marqués par la diversification des théropodes et, plus particulièrement, par celle des Tetanurae (
Les spinosauroïdes sont représentés à cette époque par plusieurs taxons européens rattachés à la famille des Megalosauridae qui présentent déjà un crâne relativement allongé
L’histoire évolutive des coelurosaures commence, elle aussi, au Bathonien, comme l’atteste la présence du plus ancien d’entre eux,
Le groupe des Coelurosauria, soutenu lui aussi par de très nombreuses synapomorphies
Les Maniraptora forment le clade le plus dérivé de coelurosaures qui inclut traditionnellement, en plus des oiseaux, les Oviraptorosauria, les Therizinosauroidea, les Alvarezsauridae et les Deinonychosauria
On a longtemps pensé que les dinosaures s’étaient imposés face aux autres vertébrés continentaux, et plus particulièrement aux thérapsides et aux archosaures crurotarsiens, à la suite d’une longue période de compétition
La domination des dinosaures sur les écosystèmes continentaux ne s’est donc pas faite du jour au lendemain, comme on le pense trop souvent. Si la radiation initiale des dinosaures à la fin du Trias marque la séparation des saurischiens en deux grandes lignées, théropodes carnivores, d’un côté, et sauropodomorphes herbivores, de l’autre, il faut attendre près de 40 Ma, et le Jurassique moyen, pour voir exploser la diversité de ces lignées dans le registre fossile
La diversification morphologique des saurischiens va s’accentuer et se poursuivre au cours du Jurassique supérieur et du Crétacé inférieur. On assiste à une augmentation générale de la taille des dinosaures dans toutes les lignées, y compris chez les Paraves, la lignée des oiseaux
De la fin du Jurassique supérieur à celle du Crétacé inférieur, les saurischiens semblent atteindre leur maximum de diversité, puisque la plupart des grandes lignées sont présentes dans les archives fossiles (
Les auteurs remercient P. Taquet (MNHN, Paris) de les avoir invités à collaborer à ce volume dédié à Darwin.
Phylogénie consensuelle des saurischiens, basée sur des analyses cladistiques récentes (voir texte).
Fig. 1. Consensual saurischian phylogeny based on recent cladistic analyses (see text).