L'évolution du climat, pendant la période néolithique, a été sûrement cruciale pour l'avènement d'une économie de production, en relation avec le milieu naturel. Il est intéressant à ce sujet, de suivre alors, entre 10000 et 2000 BC, les changements écologiques de la partie européenne de la Méditerranée septentrionale et ceux, très différents, de la partie africaine au sud, qui connaît deux séquences désertiques aux lourdes conséquences humaines. Inversement, l'Europe méridionale néolithique développe alors une société nouvelle, rurale et marchande, avec la construction des premiers villages, l'occupation des îles liées à des commerces spécialisés (obsidienne, cuivre, poteries⋯), recherche d'identités sociales (grands travaux dont fortifications et mégalithes) et religieuses (déesse mère et ancêtres) entraînant parfois des conflits guerriers. .
L'évolution du climat joue, sans nul doute, mais jusqu'à quel point (?), un grand rôle sur la néolithisation de la zone septentrionale du Bassin méditerranéen. Cette constatation est d'autant plus manifeste qu'à la même époque, à quelques centaines de kilomètres plus au sud, l'impact du climat saharien aura des conséquences très différentes sur les sociétés animales et humaines.
Les travaux de W. Van Zeist (in
À la suite des observations faites sur 13 sites significatifs (
L'Europe méditerranéenne est en effet soumise à deux courants atmosphériques qui s'équilibrent, le courant nordique, qui apporte de l'humidité depuis le nord-est vers le sud-ouest à travers la Méditerranée, transformant la steppe froide à Artémésia en savane à chêne, pistachier et céréales sauvages, et le courant de la mousson étésienne, qui souffle en sens inverse depuis le golfe de Guinée et qui a fertilisé le Nord de l'Afrique de 8000 à 5200 et de 5000 à 3500, avec deux interruptions arides, catastrophiques pour le peuplement. Dans les deux cas, les hommes se propagent dans le paysage, se sédentarisent progressivement ou adoptent des itinéraires cycliques (nomades et marchands). L'unité écologique forte des pays de la moitié septentrionale du Bassin méditerranéen a certainement facilité la progression d'est en ouest de la néolithisation des groupes locaux. La carte de répartition de l'olive sauvage et de la vigne sauvage, présentée par J. Guilaine
Si l'on définit la « néolithisation », à la suite de G. Childe, comme le passage d'une société de prédation à une société de production, il convient d'ajouter que cette évolution s'est faite plus ou moins rapidement, le plus souvent sur un ou deux millénaires ; comme de nombreuses conditions environnementales sont intervenues, en particulier l'importance du regroupement des populations se sédentarisant, des situations spécifiques sont rapidement apparues. Il est d'abord attesté que ce n'est pas la pratique de l'agriculture qui a été à l'origine de la sédentarisation de la population qui s'est fixée précocement dans des maisons construites. Chasseur et cueilleur, l'homme semble avoir bénéficié de l'évolution du climat et adapté ses stratégies de chasse en fonction d'une démographie sans doute accrue
Ces relations est–ouest, depuis les rives de la Méditerranée orientale et suivant les bords européens de cette mer, sont favorisées, du fait qu'elles se développent dans une bande aux latitudes similaires, avec des climats régionaux tempérés et doux, ce qui a été important pour la diffusion et l'adaptation des plantes cultivées et des animaux domestiqués
La diffusion du mode de vie sédentaire et rurale s'est faite, non par simple contact, mais plus vraisemblablement par une véritable stratégie de conquête des espaces, comme le montre la colonisation des îles de la Méditerranée, la plupart inhabitées vers 10 000 BC. Chypre a été la première à être occupée, dès le IXe millénaire, et les hommes y ont importé des animaux domestiques, des moutons, des porcs, des bœufs, et sans doute le chat, dont un exemplaire a été identifié à Kalavasos-Tenta, dans une sépulture humaine. Était-il déjà l'animal allié de l'homme, qui chasse les souris des silos de grains ? Parmi les animaux importés, les zoologues ont reconnu le daim, fait significatif de l'intention préméditée du « colon », qui sachant l'absence de cette espèce dans l'île, a voulu introduire l'animal pour de futures chasses. On a constaté aussi que le cerf élaphe avait été introduit en Corse, dans les mêmes conditions.
Les hommes ont pu trouver, dans ces îles qu'ils découvraient, des animaux étranges qui ont dû les fasciner, hippopotames et éléphants nains à Chypre, dont l'évolution s'explique par l'isolement forcé de l'espace insulaire. En Corse et en Sardaigne, les hommes ont chassé des lapins–rats et aux Baléares, des gazelles.
L'exemple de Chypre est intéressant du fait que, très tôt, cette île a lié des contacts avec l'Anatolie, mais, ayant adopté les maisons à plan circulaire, elle va entretenir longtemps cette tradition, alors qu'elle avait disparu du Proche-Orient. Cet exemple est bien illustré à Kirokitia, village de maisons circulaires en pierre et argile du VIe millénaire. À la même période, les maisons de plan rectangulaire en brique crue étaient généralement construites au Proche-Orient, et en particulier à Çatal-Hüyük, tandis que les maisons de même plan étaient conçues en pierre dans l'Égée, où elles étaient protégées par une enceinte ; des maisons rectangulaires similaires étaient conçues en bois et torchis dans les Balkans ; des camps à fossés abritaient des maisons sans doute légères (piquets et branchages) en Italie du Sud. Ces caractéristiques régionales indiquent des adaptations territoriales fortes.
Mais les vestiges archéologiques nous prouvent aussi que l'élargissement des espaces n'avait pas seulement pour objectif de trouver de nouveaux terrains de chasse et de nouvelles terres à exploiter, mais aussi de se procurer, à travers des réseaux d'échange lointains, des produits précieux, comme certaines pierres rares ou de l'obsidienne (
Les moyens de transport marin restent énigmatiques. L'embarcation la plus vieille que nous connaissions est la barque de Pesse (Pays-Bas), trouvée dans une tourbière et datée du VIIIe millénaire. Une pirogue similaire provient du lac de Bracciano, près de Rome (
Le goût de l'aventure entraînait des contacts entre groupes humains, favorisés par le climat « méditerranéen » doux, un mode de vie qui exploite la nature et sans doute un dynamisme conquérant qui n'a pas dû être toujours pacifiste. Cette pression sociale explique sans doute plusieurs témoignages de conflits armés : deux groupes d'archers affrontés (
Le développement des sociétés humaines au Proche-Orient et en Europe méditerranéenne a donc bénéficié de la clémence du climat à la fois doux et, selon les saisons, accompagné de précipitations fertilisantes. La démographie s'accroît, sans doute grâce à cette situation climatique favorable au développement économique ; les archéologues avancent le chiffre de 5000 habitants au début de la colonisation de Chypre vers les IX–VIIIe millénaires ; Çatal Hüyük, vers 6000 BC, occupe 3,2 ha et pouvait recevoir de l'ordre de 10 000 habitants. Les aménagements monumentaux impliquent aussi une démographie plus dense. Les villages de l'Europe méditerranéenne deviennent des forteresses : Sesklo, en Grèce, est construite en brique crue, torchis et pierre au Ve millénaire ; puis Dimini, au IVe millénaire, renforce ses murs d'enceinte et protège ses différentes portes avec des constructions dans lesquelles les pierres assurent la pérennité au-delà des saisons pluvieuses.
Les grottes sont définitivement abandonnées, sauf comme cachette funéraire, ou repli en cas de danger, ou encore comme refuge de bergers. La population est trop nombreuse et l'activité économique (agriculture et échanges de produits manufacturés) se déploie dans la plaine et parfois près de la mer. Los Millares, vers 3000 BC, avec ses multiples remparts, comprend deux enceintes et une muraille barrant sur 310 m un large éperon. Ce mur de 2 m de hauteur et de 4,30 m de largeur est, de plus, protégé par des tours. Ce vaste espace de repli n'était pas seulement destiné aux guerriers, mais aussi à toute une population qui avait entrepris, aux alentours, de vastes travaux d'aménagement agricole.
En effet, dans la région andalouse d'Alméria, la plus aride de l'Europe, avec 400 à 200 mm de pluie annuelle, Los Millares développe la culture des céréales grâce à des travaux de déviation d'eau pour irriguer les terres dès le IVe millénaire.
Nous avons déjà évoqué l'usure du sol déforesté, qui ne peut plus se régénérer, en raison de cultures intensives. Il faut ajouter les excès du réchauffement du climat dans certaines régions. En Palestine, au IVe millénaire, des citernes sont construites, de même que des barrages et des canaux à Jawa, et à Beersheva, la vallée étant aménagée pour retenir l'eau
D'autres recherches en cours concernent la culture en terrasse, attestée aux III–IIe millénaires et probablement plus ancienne dans certains massifs bordant la Méditerranée.
Ils sont typiques de la période néolithique et sont parfois encore utilisés à l'âge du bronze. Le phénomène, attesté dès le début du Ve millénaire dans l'Ouest européen, est ensuite très répandu dans la moitié occidentale du Bassin méditerranéen ; quelques groupes monumentaux se retrouvent aussi plus tardivement en Crète et au Proche-Orient (Golan), mais les deux bâtiments cérémoniels de Nevali Çori (Turquie), soutenus par des piliers mégalithiques sculptés et ornés représentent une exception du IXe millénaire. La tombe mégalithique « classique » est conçue pour être vue et marquer le paysage. Elle est souvent orientée à partir de l'est et des points remarquables de la course du soleil. Elle impressionne par les pierres pesant le plus souvent des dizaines de tonnes, tirées depuis les carrières parfois distantes de plusieurs kilomètres. Le monument mégalithique, tombe ou dolmen, temple, alignement, manifeste l'autorité de celui qui commande la construction et le caractère collectif de l'opération, qui nécessite habituellement plusieurs centaines de personnes. Le type d'architecture, conçu en fonction de certains rites funéraires ou d'autres rites cérémoniels, révèle l'identité du groupe et de ses divinités. Lié à la religion, le monument mégalithique est aménagé en dehors de la zone habitée, mais semble occuper une place remarquable au sein du territoire.
Parmi les monuments les plus imposants des V–IVes millénaires, il convient de citer, dans le Sud de l'Espagne, en Andalousie, les tombes collectives mégalithiques d'Antequera près de Malaga, la Cueva de Menga et la Cueva del Romeral. Des dolmens plus modestes ont été aménagés autour de Los Millares et en Catalogne, autour des mines de variscite. Des types régionaux se retrouvent dans le Midi de la France, aux Fades à Pépieux (Aude), au Lamalou à Rouet (Hérault). En Italie méridionale, la longue allée couverte de Chianca de Besceglie, ou la chambre circulaire à long couloir de Giovinazzo à San Silvestro, montre une certaine variété architecturale. L'originalité insulaire se manifeste dans les architectures monumentales, en Corse à Porto Vecchio et Fontanaccia, en Sardaigne, avec les tombes des géants de Li Lolgbi ou de Coddu Vecchiu à Arzachena à grande façade, à Minorque avec la naveta d'Es Tudons près de Ciudadela ou encore à Malte et Gozo avec les fameux « temples » de Hagar Kim (
Ces architectures révèlent, entre autres caractères, la vitalité des populations rurales, pour qui ces monuments étaient le garant de leur pérennité.
Pour cerner l'idéologie du Néolithique, nous bénéficions de sources iconographiques et rituelles, dont les plus anciennes manifestations ont été trouvées au Proche-Orient. J. Cauvin montre que les premières statuettes sculptées en os ou modelées en argile par les chasseurs natoufiens représentent la gazelle (mont Carmel), le bouquetin (Beidha) puis, vers 7700, le bœuf, devenu le gibier préféré à Mureybet. Une statuette en pierre d'Aïn Sakhri, datée de 10000 BC, représentant l'accouplement d'un homme et d'une femme, indique bien le thème de la fécondité, qui se décline ensuite sous la forme d'une femme nue et plantureuse. L'exemplaire de Munhata, en Israël, daté des VII–VIe millénaires, est typique, avec des hanches bouffies, qui font indubitablement penser à la déesse mère contemporaine de Çatal Hüyük (Turquie), associée à un adolescent, mais aussi au taureau et à la panthère. Plusieurs représentations identifiées dans les sanctuaires de Çatal Hüyük, semblent bien être à l'origine de la « déesse aux animaux sauvages » mentionnée par les premiers textes babyloniens. Une autre image est sans doute celle de la déesse du cycle rural et du mystère de la germination
L'unité du peuplement néolithique de l'Europe méditerranéenne est d'abord naturelle et écologique
Nous pouvons également constater que le processus de néolithisation de l'Europe méditerranéenne n'a, semble-t-il, que peu affecté la partie méditerranéenne de l'Afrique, au sud, sinon en quelques zones côtières, comme l'indiquerait la présence de quelques mégalithes en Algérie et Tunisie et quelques influences, comme la céramique campaniforme au Maroc et en Algérie. L'Afrique du Nord ressent plutôt le développement précoce et autonome de la néolithisation saharienne (premières céramiques au Sahara central au IXe millénaire et domestication des bœufs au VIe millénaire ; culture du sorgho et du millet dans le Hoggar et au Niger au VIIIe millénaire ; fabrication de céramique). Mais l'Afrique du Nord va sans doute aussi être affectée par les deux phases sahariennes de forte sécheresse au Ve, puis au IIIe millénaire, qui vont faire disparaître une grande partie des animaux et des hommes dans la zone devenue désertique et affectant les pays limitrophes.
Si l'on revient vers la néolithisation de l'Europe méditerranéenne, il convient de mettre d'abord en valeur la régularité favorable de l'évolution du climat dans cette région tempérée douce, avec pourtant certaines sécheresses ou dégradations du couvert végétal nécessitant l'intervention humaine. Il ne faut pas négliger ensuite le souci de chacune des unités régionales, et probablement locales, de parvenir à des identités culturelles spécifiques définies par des adaptations rurales au milieu, mais surtout par des rites, par des styles architecturaux, céramiques, artistiques et symboliques, enfin par des relations privilégiées. Cette diversité culturelle dans son dynamisme écologique fait l'unité néolithique de l'Europe méditerranéenne, dont la tradition se perpétue dans une certaine mesure, jusque dans les premières grandes civilisations protohistoriques
Variations des précipitations annuelles et de la température moyenne, établies à la suite des études réalisées à partir des recherches faites dans les grands sites néolithiques du Midi de la France, d'après
Fig. 1. Variations of the annual precipitations and the temperature established from the studies realized into important Neolithic settlements of the South of France, after
Expansion de la néolithisation en Europe méditerranéenne, d'après
Fig. 2. Expansion of the neolithisation in Mediterranean Europe, after
Source et définition de l'obsidienne en Méditerranée occidentale, d'après
Fig. 3. Source and definition of obsidian into the occidental Mediterranean Sea, after
Pirogue en chêne de La Marmotta, lac Bracciano près de Rome, longue de 10,50 m (VIe millénaire), d'après
Fig. 4. Oak canoe from La Marmotta, in the Lake Bracciano near Roma, length of 10.50 m (VIth millennium BC), after
Combat entre deux groupes d'archers ; peintures de l'abri des Dognes, dans la gorge de Gasulla, d'après
Fig. 5. Fight between two groups of bowmen; paintings of the shelter of the Dognes, into the gorge of Gasulla, after
Plan de la cité de Dimini (Grèce), IVe millénaire, d'après
Fig. 6. Survey map of the city of Dimini (Greece), IVth millennium BC, after
Los Millares (Santa Fé de Mondujar, Almeria, Espagne) : l'habitat fortifié du IV–IIIe millénaire s'étend sur 7 ha, d'après
Fig. 7. Los Millares (Santa Fe de Mondujar, Almeria, Spain): the fortified settlement of the III millennium BC, extended on 7 ha, after
« Temple » mégalithique de Hagar Kim à Malte, d'après
Fig. 8. Megalithic « temple » of Hagar Kim at Malta, after
Statuette féminine (122 mm), dite la
Fig. 9. Female statuette (122 mm), called the ‘Sleeping Lady’, Hal Saflieni (Malta), around 3000 years BC, Museum of La Valette.