Le Pacifique sud regroupe l'Australie et les îles du Pacifique : Mélanésie, Micronésie, Polynésie. Quelles populations les ont peuplées ? Quand, pourquoi et comment ? D'où venaient-elles ? L'environnement a-t-il conditionné leurs déplacements ? Une discussion exhaustive de ces vastes problématiques ne saurait être entreprise rigoureusement dans le cadre de ce court article. Nous proposons donc plutôt de discuter ici certains points très précis, apportant un éclairage nouveau sur les premiers peuplements du Pacifique sud. Si l'on se réfère aux sites archéologiques les plus anciens d'Australie, l'arrivée des premiers
Deux hypothèses évolutives contradictoires ont été formulées pour expliquer l'origine des premiers
Les nombreux spécimens indonésiens de la série de Ngandong, les « Hommes de la Solo »
Plusieurs études ont mis en doute les arguments anatomiques de ce modèle multirégionaliste, en montrant notamment que la plupart des caractères supposés indiquer un lien phylogénétique local sont en fait des caractères plésiomorphes (c'est-à-dire primitifs), également rencontrés, dans de plus ou moins grandes proportions, chez de nombreuses autres populations humaines fossiles ou actuelles dans le monde (par exemple,
Dans le même temps, des études anatomiques ont cherché à mettre en évidence des pathologies osseuses et/ou des déformations crâniennes chez certains de ces
Nous avons testé, au moyen des méthodes Procruste, cette hypothèse d'une évolution graduelle et locale des conformations crâniennes depuis les
Les
L'analyse présentée ici porte sur 17 points repères craniométriques classiques numérisés en 3D sur la demi-calotte crânienne gauche de 84 individus. Il s'agit principalement d'
Toutes les analyses ont été effectuées à l'aide des logiciels Morpheus et al. (D. Slice, 1994–1999) et NTSYSpc 2.02k (J. Rohlf, Applied Biostatistics, 1986–1998). Les analyses Procruste ont été réalisées avec un ajustement selon les moindres carrés (voir par exemple
Les résultats de la projection des individus sur le plan défini par les deux premières composantes principales et les conformations extrêmes des calottes crâniennes le long de ces deux axes sont présentés dans la
Ce plan exprime un peu plus de 56% de la variance totale et sépare nettement l'ensemble des individus en deux groupes (
Les changements de conformation associés à CP1 correspondent dans l'ensemble à un allongement et un aplatissement plus ou moins prononcé de la calotte, dans les trois dimensions (
Les déformations associées à la CP2 sont plus subtiles. Les individus projetés en position haute sur cet axe présentent un os frontal allongé, avec un complexe supra-orbitaire relativement important, et un os occipital largement ouvert (l'opisthocrânion et l'inion se séparent nettement). Vers les valeurs négatives de la CP2, l'os occipital conserve une conformation nettement pincée au niveau opisthocrânion–inion, tandis que les proportions de l'os frontal se modifient : l'écaille se redresse et s'élargit, alors que le complexe supra-orbitaire se réduit et se verticalise.
La position des individus sur ce plan donne une orientation du nuage de points situé dans la partie gauche du graphique. Les spécimens présentant les conformations négatives les plus prononcées sont du côté des valeurs positives de la CP2, puis les individus « descendent » le long de cette composante, en même temps qu'ils se rapprochent du zéro de la CP1. Très grossièrement, on remarque que les individus africains et chinois les plus récents de ce sous-ensemble (Jebel Irhoud 1 & 2, Jinniushan, Dali) sont situés à l'extrémité de ce nuage (au centre et en bas du plan CP1/CP2), à proximité d'
La position des spécimens australiens Cohuna et Kow Swamp 5, utilisés comme arguments de continuité multirégionale en Indonésie–Australie, est très intéressante. Ceux-ci sont très loin des individus de Ngandong-Ngawi, mais surtout en position très haute selon la CP2. Si l'on se réfère aux déformations précédemment décrites associées à cet axe (
Cette analyse Procruste, ainsi que l'ensemble des comparaisons morphométriques effectuées par ailleurs
Les sociétés océaniennes se distribuent sur de très grandes superficies, les distances entre les différents groupes pouvant être très importantes. Plusieurs facteurs déterminants ont conditionné les migrations : que des hommes soient prêts à partir, qu'ils possèdent les techniques appropriées à leurs ambitions et, enfin, que les conditions climatiques leur soient favorables
Climat et environnement ont interagi avec ces déplacements de populations. Le tout premier exemple en est la formation de ponts terrestres entre le continent Asiatique et l'archipel Indonésien lors des glaciations quaternaires
Les premiers hommes à avoir peuplé l'Australie ont privilégié les régions côtières, qui présentaient des conditions environnementales et climatiques favorables et leur assuraient une subsistance régulière grâce aux produits de la mer
Les navigateurs, quant à eux, ont abordé différents types de terres, des îles hautes, des îles basses, des atolls et y ont trouvé des ressources naturelles variables selon que les îles étaient anciennes ou récentes, qu'elles aient été rattachées à un continent, comme la Nouvelle-Calédonie, ou qu'elles soient plus nouvellement formées comme les îles volcaniques. Ils les ont enrichies de leurs ressources propres.
Ce qui existe sur les îles avant la venue des hommes sont les plantes et les animaux arrivés seuls, à savoir des oiseaux, des chauves-souris ainsi, naturellement, que la faune marine. Aucun mammifère ne vivait dans les îles du Pacifique avant l'arrivée de l'homme. Pour la flore, on trouvera des plantes dont la dispersion est facile ou qui possèdent des graines qui résistent à l'eau de mer et qui flottent, comme les noix de coco, auxquelles s'ajoutent de possibles radeaux de végétation détachés de continents et qui dérivent sur l'océan.
L'émergence d'une horticulture mélanésienne a été mise en évidence avec la découverte, au centre des montagnes de Nouvelle-Guinée, du site de Kuk (1600 m), complexe horticole daté de 9000 ans
Les navigateurs embarquent avec eux les plantes utiles à leur survie pendant le voyage et celles qu'ils replanteront. Ils se sont intéressés, en tant que navigateurs, aux plantes liées à leurs embarcations, plantes à fibres pour les filets, plantes à latex pour les colles⋯ (
La dispersion de ces plantes a suivi les vagues de migrations.
Quand ils s'installent, progressivement, les hommes domestiquent, ils organisent, ils plantent mais, insulaires, ils restent tournés vers la mer, privilégiant ainsi l'horticulture et la pêche
Dans le Pacifique, les jardins océaniens se développent
Cela pose le problème de la cohabitation de groupes de pêcheurs et de groupes de cultivateurs se diversifiant sur un même territoire.
À Koumac, dans le Nord de la Grande Terre, en Nouvelle-Calédonie, des sites contemporains, de bord de mer et de l'intérieur des terres, ont ainsi été mis en évidence.
À l'exception de la Nouvelle-Zélande qui a un climat tempéré océanique, les archipels océaniens sont situés dans la zone intertropicale avec un climat chaud et humide, en moyenne 26–27 °C près de l'équateur.
Présents dans tout le Pacifique tropical, les typhons ou cyclones sont les vents les plus destructeurs. Fréquents et violents, ils se forment principalement au sud-est et au sud-ouest du Pacifique.
D'autres vents influencent l'Océanie : les alizés, fréquents dans l'Est du Pacifique tropical, soufflent toute l'année et sans interruption, entre mai et septembre. Les moussons sont des vents saisonniers qui prennent le relais des alizés dans l'Extrême-Ouest du Pacifique et engendrent de fortes précipitations durant l'été austral. Enfin, les vents équatoriaux, plus faibles, se manifestent près de l'équateur et se caractérisent par un taux élevé d'humidité et de nuages.
La direction et la force des courants marins et des vents s'intègrent dans un système complexe et imbriqué, qui varie au cours du temps et est fonction des variations de températures atmosphérique et océanique. Les anticyclones de Californie et de l'île de Pâques sont deux centres de hautes pressions qui déterminent des flux d'alizés qui se rejoignent le long de la convergence intertropicale dont la position varie au cours de l'année et a varié au cours du temps.
Si la colonisation de l'archipel indonésien et de la plate-forme de Sahul n'a pu se faire que lors d'abaissements du niveau marin contemporains des périodes glaciaires, celle de l'océan Pacifique a été conditionnée par des événements climatiques faisant intervenir les vents et les courants marins ainsi que les variations de ceux-ci à l'occasion de perturbations et d'anomalies, comme le phénomène El Niño par exemple.
Alizés, vents d'ouest, et vents de moussons saisonniers sont naturellement intervenus dans la colonisation des îles du Pacifique
Aux cyclones
De très nombreuses études pluridisciplinaires sont menées à partir d'enregistrements continentaux et marins pour reconstituer l'évolution des climats du passé. L'étude des coraux renseigne notamment sur les variations de la température de surface des océans. Les analyses isotopiques, mais aussi biologiques de sondages coralliens et les corrélations entre différents sondages réalisés dans le Pacifique permettent de suivre les variations du niveau de la mer, ainsi que la succession des anomalies thermiques, et d'en interpréter la nature (El Niño, La Niña⋯)
Dans le vaste domaine du Pacifique, nous aborderons, par deux exemples, les principaux thèmes du peuplement : les signes de première occupation de terres vierges et les inter-relations entre l'homme et un environnement nouveau pour lui, souvent fragile et original. Quel milieu rencontre-t-il, comment s'y adapte-t-il, le modifie-t-il ?
La Nouvelle-Calédonie (
Des études paléoclimatologiques pluridisciplinaires d'enregistrements sédimentaires continentaux et marins sont réalisées en Nouvelle-Calédonie. Leurs résultats, associés à ceux de l'archéologie, précisent quel était l'environnement des premiers occupants de l'île et comment il a évolué, que cette évolution ait été subie ou provoquée par les hommes.
D'après les datations des sites répertoriés, le peuplement de la Nouvelle-Calédonie aurait eu lieu il y a environ 3500 ans BP
Les sites les plus anciens, généralement localisés en bord de mer, ont livré des tessons de poterie Lapita, aussi bien sur la Grande-Terre que dans les îles Loyauté, à l'exception toutefois d'Ouvéa. À la poterie de tradition Lapita, s'ajoute celle de Podtanéan ou poterie au battoir ; l'une et l'autre évolueront différemment par la suite, comme le montre la chronologie établie à partir des céramiques
Outre les sites de bord de mer, des fouilles ont montré que l'intérieur des terres avait été occupé à des périodes comparables comme c'est le cas pour Koumac (
Plusieurs sondages réalisés dans des milieux marécageux et lacustres de cette région et leurs études sédimentologique et palynologique montrent une évolution de l'environnement depuis 3000 ans, date à partir de laquelle les hommes s'y sont installés (
Pour deux des sondages effectués dans le Nord, le sondage Aubé, en plaine, à proximité de la ville de Koumac et le sondage Koum2, provenant d'un lac en amont, situé à 120 m d'altitude, l'évolution des trois principales familles botaniques représentées dans les diagrammes est assez comparable (
Il semble que l'on soit passé d'un environnement ouvert (importance des graminées) à un paysage de forêt sclérophylle, une forêt sèche, évoluant à son tour en formations plus ouvertes où les Myrtaceae dominent.
Les micro-charbons observés dans les sédiments illustrent l'importance des incendies. Dans de nombreux enregistrements, le développement de ces micro-charbons est interprété comme étant de nature anthropique. Le brusque développement de ce marqueur est souvent assimilé à l'arrivée de l'homme dans une région, bien que certains auteurs remettent en question cette hypothèse
À l'époque de l'arrivée des premiers Mélanésiens sur la côte ouest de la Grande Terre, la végétation était différente de l'actuelle, plus sèche ; puis, l'augmentation de l'humidité avec le développement d'un couvert forestier sclérophylle a pu favoriser l'exploitation de l'intérieur des terres. Contrairement au site côtier, l'occupation du site en grotte se poursuit jusqu'à une période tardive et des villages kanaks se développent
L'enregistrement sédimentologique de Koum 2 met en évidence des changements de faciès attribuables à des variations climatiques, ainsi qu'un événement brusque (cyclone ?) vers 1000 ans BP, que l'on pourra chercher à corréler avec d'autres sites
À Bourail, l'étude stratigraphique montre le passage brusque, vers 3000 ans BP, de niveaux sableux à une argile organique. Le recul de la mer, la disparition de la mangrove et des ressources associées, la formation d'une lagune, puis d'un marécage fermé, modifient les conditions environnementales. L'abandon du site par les Lapita peut en être une conséquence.
La forêt sclérophylle, formation climacique de la côte ouest, est aujourd'hui très dégradée
La limite des enregistrements vers 3500 BP à Bourail, au passage sable/argiles, est-elle représentative d'un événement climatique corrélatif de l'arrivée des hommes ? Y a-t-il un rapport de cause à effet entre leur arrivée et des conditions climatiques particulières ?
L'archipel des îles Marquises compte parmi les plus isolés (
Les îles volcaniques se sont formées il y a moins de deux millions d'années et ont naturellement développé des formes originales de végétation. La morphologie des îles hautes induit l'existence de nombreux écosystèmes et impose, pour son étude, un découpage en unités botaniques à l'échelle des vallées. Le taux d'endémisme des plantes est estimé à 57%, plantes auxquelles s'ajoutent de nombreuses autres, introduites par les Polynésiens, puis les Européens. La végétation actuelle est donc la résultante des apports naturels et humains, de la compétition entre les plantes et de la destruction des certaines d'entre elles par l'homme.
Le climat marquisien, de type tropical humide, se caractérise par des températures moyennes élevées, supérieures à 25 °C et relativement constantes. La pluviométrie, dont la moyenne annuelle est relativement faible (entre 700 et 1400 mm), est cependant variable. Les îles connaissent de longues périodes de déficit pluviométrique. Les alizés contribuent à accentuer l'aridité des terres et engendrent, quand ils sont violents, un
Les recherches archéologiques menées par Pierre Ottino portent sur les structures d'habitat, d'aménagement de l'espace et d'organisation sociale traditionnelle de vallées dans les îles de Ua Pou
L'ensemble des sites proches de Hatiheu (
L'ensemble de Tahakia–Kamuihei–Teiipoka
Un sondage profond de 2,5 m réalisé sur le site de Teiipoka (
En résumant l'histoire des dépôts, il apparaît que des colluvions se déposaient déjà à Teiipoka, avant que les hommes ne s'y installent. L'établissement des hommes sur le site, entre 1420 et 1670, y a peut-être momentanément accéléré l'érosion ; puis la mobilisation des sédiments a repris un rythme « normal », jusqu'à l'abandon du monument, vers 1850.
À ces ensembles de structures monumentales, qui s'intègrent dans la végétation des vallées, s'ajoute le domaine du vao
L'inventaire floristique de l'île a mis en évidence l'existence de plantes endémiques, comme l'Arecaceae
La flore pollinique est actuellement à l'étude
La flore insulaire est fragile, l'endémisme et la diversité qui y règnent doivent être préservés. À titre d'exemple, le santal, qui avait pratiquement disparu, est actuellement replanté.
En conclusion de ce texte, qui juxtapose les thèmes que nous avons développés lors du colloque
Si les périodes de refroidissement ont favorisé les premières migrations, elles sont également intervenues dans le peuplement de la plate-forme de Sahul, puis, plus tard, de façon plus ou moins directe, dans celui des îles du Pacifique. Les variations des systèmes de courants atmosphériques et marins consécutifs aux changements climatiques ont conditionné, voire orienté, les déplacements ; les événements brusques et/ou violents, comme les cyclones ou les raz-de-marée, par exemple, en détruisant l'environnement, notamment des îles basses, ont également provoqué des migrations nouvelles.
Les moyens de mise en évidence de l'ensemble de ces déplacements sont multiples et nous n'en avons évoqué que quelques uns (palynologie, sédimentologie, archéologie, climatologie, paléoanthropologie⋯).
Dans de nombreux cas, des vagues de migrations successives semblent marquer le pas sur les évolutions sur place. Les différents groupes humains sont associés à un environnement naturel et culturel qu'ils tentent de retrouver et de préserver dans leurs déplacements, faisant du Pacifique un milieu ouvert par son étendue et fermé par le système de réseaux qui s'y est constitué.
Nous tenons tout d'abord à remercier le professeur Henry de Lumley et les organisateurs du colloque
Analyse en composantes principales des résidus (coordonnées ajustées) de la superposition Procruste, effectuée sur 84 demi-calottes crâniennes gauches. (
Fig. 1. Principal Component Analysis of residual coordinates after Procrustes superimposition of 84 left half-skullcaps. (
Nouvelle-Calédonie et localisation des sites.
Fig. 2. Map of New Caledonia and localization of the sites.
Diagrammes polliniques synthétiques concernant les familles les plus représentées et leur évolution pour les sites de Koumac (Aubé, Koum2) et de Bourail (FO4), sur la côte ouest de la Nouvelle-Calédonie.
Fig. 3. Synthetic pollinic diagrams concerning the most represented families and their evolution for the sites of Koumac (Aubé, Koum2) and Bourail (FO4), on the western coast of New Caledonia.
(
Fig. 4. (