La grotte ornée Mayenne-Sciences (Thorigné-en-Charnie, Mayenne), dans le Nord de la France, est une petite caverne de 60 m de long, qui renferme 59 représentations pariétales, dont 27 dessins réalisés au pigment noir, essentiellement du charbon. Deux prélèvements effectués en deux points d’une représentation de cheval ont été datés de 24 220 ± 850 BP (GifA 100 647) et 24 900 ± 360 BP (GifA 100 645) par la méthode du carbone 14 en SMA ; ces résultats, qui situent une partie de la décoration de Mayenne-Sciences dans une phase moyenne du Gravettien, montrent que le dessin de cheval a été fait à la même époque que certains dessins des grottes de Pech-Merle et de Cougnac (Lot).
The Mayenne-Sciences cave (Thorigné-en-Charnie, Mayenne) is one of the eight decorated caves or shelters attributed to the Upper Palaeolithic in the North of France. This small 60m deep cave is decorated with 16 animal figures (nine horses, two mammoths, one bison and four undetermined), 19 signs, 12 undetermined traces and 12 red fingerprints.
The Mayenne-Sciences cave, because it is situated far from the great centres of Palaeolithic art, presents an evident interest today; in fact, after the discoveries of the Cosquer Cave (Var), of the Chauvet cave (Ardèche) and now of the Cussac cave (Périgord), the specialists must reconsider the entire chrono-stylistic system elaborated by Leroi-Gourhan
At this time, there is nothing in the archaeological context of the Erve Valley to help to date the representations of the Mayenne-Sciences cave, because the excavations are old
There is no stratigraphic level that one could attribute to the representations of the decorated cave. The Dérouine porch has been examined by Chaplain-Duparc
Among the Mayenne-Sciences cave drawings, 25 are in black. The pigment of Hall-III drawings was identified as charcoal, first by visual inspection (Philippe Walter, C2RMF, ‘Musée du Louvre’, Paris, France), then by Raman spectrometry (Michel Bouchard, ‘Laboratoire de minéralogie du MNHN’, Paris, France)
The two dates fall in the middle phase of the Gravettian era (
The future excavations in the Erve Valley and determination of the source of the raw materials might provide the missing information on the artists responsible for the drawings and carvings of Mayenne-Sciences.
La grotte ornée Mayenne-Sciences, à Thorigné-en-Charnie, en Mayenne, fut découverte voici 35 ans, le 11 juin 1967, par l’équipe de spéléologues Mayenne-Sciences dirigée par Roger Bouillon
La grotte ornée Mayenne-Sciences s’ouvre dans le karst du « canyon de Saulges », un accident géomorphologique dû à l’Erve, un affluent de la Sarthe, qui entaille le plateau calcaire de Saulges sur près de 1,5 km. Il s’agit d’une petite caverne, d’environ 60 m de longueur en suivant le cheminement spéléologique actuel, mais de 50 m seulement si l’on part de l’entrée paléolithique probable. Dans l’état actuel des recherches, cette grotte renferme 59 représentations, dont 16 figures (neuf chevaux, deux mammouths, un bison et quatre indéterminés), 19 signes, 12 tracés indéterminés et 12 traces digitales rouges. Parmi ces représentations, on compte 27 dessins au pigment noir, 18 gravures et 14 tracés digitaux rouges ou à l’argile.
L’éloignement de la grotte Mayenne-Sciences par rapport aux grands centres d’art paléolithique, comme le Lot et le Périgord, ainsi que le style de ses représentations rendaient malaisée toute attribution chronologique, d’autant que les découvertes des grottes Cosquer (Var), Chauvet (Ardèche) et Cussac (Périgord) ont obligé les spécialistes à revoir tout le sytème d’attribution chrono-stylistique élaboré jadis par Leroi-Gourhan
Actuellement, rien dans le contexte archéologique de la vallée de l’Erve ne permet de fournir des arguments pour une datation des représentations de Mayenne-Sciences. En effet, sur la trentaine de cavités que compte le « canyon » de Saulges, seule une petite dizaine fut rapidement fouillée entre 1870 et 1880, par Chaplain-Duparc et quelques érudits locaux, (dont l’abbé Maillard et Melle Ida de Boxberg, cf. Maillard
Aucune stratigraphie n’a été retrouvée en contact avec les représentations de la grotte ornée. Le porche de la Dérouine, dans lequel s’ouvre Mayenne-Sciences, a fait l’objet d’une fouille par Chaplain-Duparc, qui y avait distingué cinq niveaux d’occupation
Un sondage de 1 m2
Le style des figures de Mayenne-Sciences peut se résumer en un figuratif synthétique, avec un traitement en simple silhouette en profil absolu, sans extrémités ni œil, ni commissure des lèvres, ni poil, avec un traitement en perspective semi-tordue pour les encornures de Bovidés, un « bec de canard », une crinière « en cimier » pour les chevaux, et des mammouths sans poils
La grotte Mayenne-Sciences renferme 25 représentations réalisées au pigment noir. Celui-ci a été identifié, pour les représentations de la salle III, comme étant du charbon, d’abord par observation rapprochée à la loupe binoculaire à fort grossissement (Leica M420) par Philippe Walter (C2RMF, musée du Louvre, Paris), sur le poitrail du cheval 16. Par la suite, Michel Bouchard (laboratoire de minéralogie du MNHN, Paris) a confirmé cette analyse par observation en spectrométrie Raman
Comme les autres dessins noirs de la salle III présentent le même aspect que ceux déjà analysés, on peut penser qu’ils ont, eux aussi, été tracés avec du charbon de bois.
Le pigment noir des principaux dessins de la cavité étant à base de charbon, il était naturel d’envisager de les dater par la méthode du carbone 14 en spectrométrie de masse par accélérateur (SMA). Les prélèvements s’annonçaient délicats, puisque ces dessins ont été réalisés de chic, sans reprise apparente, par simple passage d’un crayon sec sur la paroi. De fait, il est vite apparu que la couche de pigment n’était pas assez épaisse pour permettre de nombreux prélèvements, d’autant qu’elle est recouverte par endroits d’une couche de calcite de 2 à 3 mm d’épaisseur. Finalement, il a été décidé de prélever du charbon sur le cheval 15 seulement, à deux endroits où le pigment semblait plus abondant, sur la patte antérieure, au niveau du genou (
Ces deux prélèvements, qui contenaient des esquilles de charbon de bois et des grains de calcite issus de la paroi sous-jacente, ont d’abord été soumis à un traitement chimique (acide-base-acide), puis à un traitement thermique sous courant d’oxygène, afin d’éliminer les contaminations en carbone étranger
Ces deux résultats compatibles, obtenus sur deux prélèvements différents (pattes avant et dos), suggèrent que le tracé du cheval a pu être réalisé en une seule fois ou, du moins, pendant la même période ou phase culturelle. Cette situation est différente de celle rencontrée dans la grotte de Cougnac (Lot), où deux datations effectuées sur une représentation de Mégacéros femelle avaient donné deux dates incompatibles : 25 120 ± 390 (Gif A 92425) et 19 500 ± 270 (Gif A 91324) ; cette différence avait conduit Lorblanchet à proposer l’hypothèse d’un repeint périodique de la figure, comme cela se pratique chez les Aborigènes australiens
Les deux datations tombent dans une phase moyenne du Gravettien, entre 24 et 25 000 ans BP (
Mais quels sont les jalons dont nous pouvons disposer aujourd’hui pour connaître l’origine des auteurs des dessins de Mayenne-Sciences ? Actuellement, il n’existe pratiquement pas d’indices culturels gravettiens dans la vallée de l’Erve. Les cavités ornées et les sites d’art mobilier les plus proches de Mayenne-Sciences sont tous situés, soit dans le Bassin parisien, soit dans le Nord du Bassin aquitain, et ce dans un rayon de 320 km environ. Mais la plupart (comme les sites ornés en Essonne, la grotte de Gouy en Normandie, et les sites des vallées de la Loire, de la Vienne et de la Charente, comme la grotte de La Marche, avec ses célèbres plaquettes gravées, décorées de figures humaines) offrent plutôt un style réaliste magdalénien ou hyper-stylisé à la manière de l’Azilien. La grande grotte d’Arcy-sur-Cure est la cavité qui présente le plus d’affinités avec Mayenne-Sciences, mais son bestiaire, composé essentiellement d’animaux rares (mammouths, rhinocéros, ours, félins, oiseaux, à 66,6 %) et le style particulier de ses mammouths glabres l’en écartent
Des Aurignaciens tardifs ou des Gravettiens semblent donc avoir dessiné une partie (ou la totalité ?) du décor de Mayenne-Sciences. D’où venaient-ils ? Le style tout en silhouette et rondeurs des figures, la simplicité des signes, interdisent, en l’absence de « sites relais », de pousser plus avant une recherche des parentés culturelles : tout au plus peut-on avancer, au vu du nombre des critères (proportions, manières de faire, dates 14C et attouchements pariétaux à proximité des représentations) qui les rapprochent, une influence du Lot. La poursuite des fouilles sur le site de la vallée de l’Erve, ainsi que l’étude des provenances des matières premières permettra de suppléer au manque d’informations fourni par les dessins et les gravures de Mayenne-Sciences.
Nous remercions Evelyne Kaltnecker, Martine Paterne et Nadine Tisnerat (LSCE) pour leur collaboration à l'étude des échantillons datés au Tandétron, ainsi que Messieurs Michel Clément, directeur régional des affaires culturelles des Pays-de-la-Loire, Bernard Mandy, chef du service régional de l'archéologie des Pays-de-la-Loire et Guy Briolet et Jean-François Charnier, conservateur du Patrimoine, pour leur aide et leur appui, ainsi que Messieurs les maires de Saulges et Thorigné-en-Charnie et Roger Bouillon, inventeur de la grotte Mayenne-Sciences, pour leur soutien sans failles.
Mayenne-Sciences : chevaux 15 et 16, avec position des prélèvements sur le cheval 15. Le gris clair correspond aux éléments de relief (F = fossile), le gris foncé à une coulée de calcite qui recouvre la tête du cheval 15. La barre de l’échelle donne l’horizontalité.
Fig 1. Mayenne-Sciences: horses 15 and 16, and spots from which samples MS2 and MS3 were obtained. Light grey represents parts in relief (F = fossil), dark grey parts where calcite layer casts the head of horse 15. The scale is placed horizontally.
Dates obtenues par la méthode du carbone 14 en SMA pour des peintures préhistoriques attribuées à la période gravettienne.
AMS radiocarbon dates obtained for prehistoric paintings attributed to the Gravettian period.