Nous présentons l’œuvre scientifique de Louis Thaler, complétée d’un choix de références bibliographiques, et soulignons son influence au sein de la communauté scientifique française.
Professor Louis Thaler (
After he had completed his military service in Algeria, Louis Thaler came to Montpellier in October 1960. At that time, it appeared to him that palaeontologists were the segment of the French scientific community that was most receptive to evolutionary research. So, taking advantage of a favourable local context, both in the intellectual environment and in the geologic resources of the region, he began a thesis on the fossil rodents of Languedoc, under the sponsorship of R. Lavocat. In fact, he would develop a “palaeontology of the populations” of rodents, which has also found applications in the dating of continental deposits. The team of young palaeontologists with which he surrounded himself would pursue this research in vertebrate palaeontology by expanding his approach to other mammalian orders besides rodents, and thus would form a group of specialists studying insectivores, bats, rodents, ungulates, primates, and marsupials — even selachians! (Some rodents can be found in marine sediments). However, this palaeontological approach was only the first among Thaler’s preoccupations with evolutionary biology, and, after his thesis, he would develop after 1970 the genetic tools to study natural populations, using electrophoretic techniques. Some years later, an ecological approach would in turn be combined with the others, in order to study the dynamics of rodent communities. Indeed, both living and fossil rodents would remain the focal point of Louis Thaler’s studies throughout his life.
Louis Thaler always associated research and teaching, and since 1975 he created a school that produced hundreds of doctoral students (PhD), who greatly expanded the domains of basic and applied research, from palaeontology to ecology, genetics, and molecular biology. His driving force expressed itself best in the very Socratic dialogues he liked to engage in with all his students and colleagues, regardless of their age or specialty.
Because of his lifelong curiosity, Louis was a true gourmand of science and of life. As a consequence of his high standing in the academic and scientific community, he accepted the many responsibilities that accompany this. He served as President of the University and also had many functions of responsibility in different research offices. On all these occasions, although he was an enemy of formalism, he assumed these institutional loads with rigor but gentleness, welcoming the reforms as they came, without illusion, but not without showing a sure adaptability toward them. By the principles and methods he undertook, his papers in palaeontology are still relevant. The perspectives, which he developed for the understanding of the deep mechanisms of biological evolution, remain at the centre of the concerns for current evolutionary sciences.
L’un des évolutionnistes les plus influents de sa génération, Louis Thaler (
Entré à l’École normale supérieure en 1952, agrégé en 1956, il fit l’année suivante un séjour d’étude au département de géologie et de paléontologie de l’American Museum of Natural History de New York, alors dirigé par le paléontologue George Gaylord Simpson. Cette rencontre avec l’un des auteurs de la théorie synthétique de l’Évolution ne devait rien au hasard. Elle n’en fut que plus déterminante, et conforta Louis Thaler dans son projet d’associer, dans un même lieu, des paléontologues, des généticiens et des écologistes, afin que se concrétise une approche pluridisciplinaire de l’Évolution. Cette démarche tranchait dans le paysage scientifique français des années 1950, où les « théories de l’Évolution » n’étaient l’objet que de débats d’opinion, sans que l’on songeât à mettre en œuvre des expérimentations pour tester les idées majeures qui sous-tendent le paradigme darwinien.
Simpson ne fut pas le seul tuteur scientifique de Louis Thaler. Le premier avait été son oncle Paul Ostoya, longtemps directeur du mensuel
Après son service militaire, effectué en Algérie de 1957 à 1960 comme officier des SAS (Sections administratives spécialisées), il est nommé en octobre 1961 chef de travaux au laboratoire de géologie de la faculté des sciences de Montpellier. Il lui apparaît alors que la communauté scientifique française la plus réceptive aux recherches évolutionnistes est celle des paléontologues, au sein de laquelle Henri Tintant en particulier mène croisade depuis Dijon, pour développer les études de microévolution en paléontologie des invertébrés. Profitant d’un contexte local favorable, aussi bien au plan intellectuel que par les ressources géologiques de la région, il entreprend une thèse sur les rongeurs fossiles du Languedoc, avec le parrainage de R. Lavocat, qui l’a suivi à Montpellier.
De fait, Louis Thaler va développer une paléontologie des populations de rongeurs qui trouvera des applications dans la datation des terrains continentaux, travaux qui seront appréciés des géologues et autres paléontologues de son entourage, en particulier Maurice Mattauer et Louis Grambast. Son approche est une démarche scientifique solide, mais elle se situe en dehors des sentiers plus conventionnels qui étaient alors suivis en Europe. Grâce au recul dont nous bénéficions, sa méthode de datation hypothético-déductive, fondée sur l’étude des lignées de rongeurs, apparaît de nos jours toujours aussi efficace, sans pour autant être exclusive et incompatible avec les autres méthodes de la biostratigraphie. Ayant posé ces jalons, ce sont ses élèves qui ont formalisé et développé les conséquences de ses idées (niveaux repères et zonation consécutive en particulier). L’équipe de jeunes paléontologues dont il s’est entouré va étendre ce type de recherche à d’autres ordres que celui des Rongeurs, et ainsi se formera un groupe de spécialistes des rongeurs bien sûr, mais aussi des insectivores, chiroptères, ongulés, primates et marsupiaux, voire des sélaciens.
Mais cette étape, qui voit la mise en route de l’outil paléontologique, n’est que la première dans l’ordre de ses préoccupations et, sa thèse soutenue en 1964, il va développer à partir de 1970 l’outil génétique pour étudier les populations naturelles. Pour atteindre cet objectif, il fera appel à Nicole Pasteur, qui vient d’acquérir, aux États-Unis, l’expérience nécessaire dans l’utilisation des marqueurs électrophorétiques. Quelques années plus tard, l’outil écologique sera à son tour greffé aux deux autres, avec l’arrivée d’Henri Crozet, qui étudiera la dynamique des populations de rongeurs. Ces animaux, vivants ou fossiles, resteront le matériel d’élection des études que dirigera Louis Thaler sa vie durant, mais il n’en demeurera pas moins attentif aux possibilités de recherche qu’offrent d’autres groupes animaux. Ainsi stimulera-t-il des études sur les mollusques continentaux qui peuvent aider à mieux comprendre la part du génétique et celle de la plasticité phénotypique qui entrent dans la variation morphologique, cette dernière étant la seule à laquelle accède le paléontologue.
Dans le milieu scientifique français, les réflexions de Louis Thaler sur la lignée et sa signification en paléontologie ont été sans conteste bénéfiques pour la biostratigraphie. Mais très tôt, il s’est attaché aussi à comprendre les rapports qu’il convenait d’établir entre cette lignée si utile pour le paléontologue et l’espèce biologique. L’exploration de cette dernière était alors en plein essor grâce aux méthodes venues de la biologie moléculaire. Louis Thaler souligna parmi les premiers que le contenu biologique de la lignée évolutive peut être divers et que les différences morphologiques qui signent la descendance avec modification ne sont pas d’une interprétation immédiate. L’étude du complexe d’espèces que constituent les souris du Midi de la France à partir de centaines de stations, lui permettra ainsi d’esquisser le dialogue entre génétique et paléontologie, l’étude morphostatistique venant en contrepoint valoriser les observations. Mais il lui restait encore à s’intéresser aux modalités et aux mécanismes de l’évolution. Au début des années 1970, bien avant que les termes anglais de
Chercheur exigeant, il a conscience que la pluridisciplinarité est une démarche difficile qui ne doit pas souffrir la médiocrité. Pour les trois disciplines, ce sont leurs applications qui permettront d’en tester les résultats : pour la paléontologie, ce sera la stratigraphie, pour la génétique, la systématique, pour l’écologie, le fonctionnement des communautés insulaires. À cette recherche de qualité, il associe son enseignement, et dès 1975 crée une école d’évolutionnistes. Sous sa conduite se formeront des centaines de docteurs, qui essaimeront dans les domaines de la recherche fondamentale ou appliquée, que d’ailleurs il se refuse à distinguer. Son talent d’animateur s’exprime au mieux dans les dialogues très socratiques qu’il a toujours su mener avec les étudiants et chercheurs, sachant tour à tour critiquer et convaincre, insuffler des idées et se montrer enthousiaste vis-à-vis de la moindre avancée. Mais il y a aussi chez lui un conférencier brillant, et il est regrettable que nous ne disposions d’aucun manuscrit de ses nombreuses interventions. Scientifique intéressé par les questions de diffusion des connaissances, il portait aussi une grande attention à la qualité des articles de vulgarisation qu’il rédigeait. Les sujets retenus traduisent une remarquable pertinence, car de grandes questions scientifiques y furent abordées, finalement assez tôt par rapport au mouvement d’ensemble des recherches correspondantes. Ainsi, en 1965, il a traité du problème de l’extinction des dinosaures et du rôle que pouvaient jouer les restes de coquilles d’œuf laissés par ces animaux dans la compréhension de ce phénomène. Dès 1971, il a intégré la tectonique des plaques dans ses travaux de paléontologie. En 1972, son article sur la phylogenèse est publié dans l’
Gourmand de science et de vie, toujours disponible, que ce soit chez lui à la Clastre, ou entre deux avions, il ne pouvait échapper cependant aux responsabilités. Ainsi fut-il président d’université à une période charnière (1978–1983), et le CNRS et d’autres organismes ne manquèrent pas de faire appel à lui pour telle ou telle fonction de responsabilité. En toutes ces occasions, bien qu’il fût ennemi déclaré du formalisme, il assuma ces charges institutionnelles avec rigueur mais bonhomie, accueillant les réformes comme elles venaient, sans illusion, mais non sans faire preuve à leur endroit d’une adaptabilité certaine. Par les principes et méthodes qu’il a mis en œuvre, ses travaux de paléontologie restent d’actualité. Les perspectives qu’il a frayées pour la compréhension des mécanismes profonds de l’évolution biologique sont au cœur des préoccupations des écologistes d’aujourd’hui.
Louis Thaler lors d’une fête dans son laboratoire à l’occasion de son « départ » à Paris en juin 1991 (Photo : Maïté Marquine).
Fig. 1. Louis Thaler during a party in his laboratory on the occasion of his “leaving” for Paris in june 1991 (Photo: Maïté Marquine).