Les Invertébrés fossiles récoltés ou reçus par Alcide d’Orbigny tout au long de sa vie sont rassemblés dans une célèbre collection, très riche en espèces et en spécimens, qui constitue une gigantesque œuvre paléontologique. L’étude des faunes d’un très grand nombre de gisements français ont conduit Alcide d’Orbigny à établir des comparaisons d’ordre biostratigraphique, puis à créer des étages géologiques, définis par leur stratotype. Sa grande connaissance des faunes fossiles européennes a été confortée par une vision paléobiogéographique des espèces plus globale, acquise lors de son voyage en Amérique du Sud. La collection d’Orbigny est conservée au Muséum de Paris et est souvent consultée.
Fossil invertebrates collected or received by Alcide d’Orbigny, all his life long, have been brought together in a renowned collection that is very rich in terms of both species and specimens. The collection has resulted from a huge palaeontological work. Study of faunas from numerous French sites led Alcide d’Orbigny to do biostratigraphical comparisons and to erect geological stages, the definitions of which rest on their stratotypes. His wide knowledge of European fossil faunas was strengthened by a more global palaeobiogeographical view derived from his travel in South America. The d’Orbigny collection is housed in the ‘Muséum’ of Paris and is often visited by experts.
La collection d’Invertébrés fossiles d’Alcide d’Orbigny représente un modèle de perfection par son équilibre entre le nombre très élevé d’espèces et de spécimens qu’elle contient, la multiplicité des provenances (France et étranger) et son étendue stratigraphique, du Paléozoïque à l’Actuel. Elle est en grande partie constituée par les récoltes personnelles d’Alcide d’Orbigny, mais aussi par les dons de ses nombreux correspondants. L’histoire de la collection d’Orbigny est d’abord le récit d’étapes de la vie de son auteur, qui l’ont progressivement conduit à servir de grandes disciplines scientifiques, principalement axées autour de trois volets inséparables, la paléontologie, la biostratigraphie et la paléobiogéographie. La visite de la salle d’Orbigny et la consultation des fossiles nous font connaître le premier grand rangement historique des taxons par étages géologiques.
À Couëron, petite localité sur la Loire, à l’ouest de Nantes, vécut tout au début du XIXe siècle la famille d’Orbigny. L’un des fils, Alcide, au destin peu commun, naquit là en 1802. Son père, Charles Marie, avait donné à ses enfants le goût des sciences de la nature. Lorsqu’en 1816 la famille s’installa à Esnandes au nord de La Rochelle, puis à la Rochelle même en 1821, se précisa alors la vocation de paléontologue d’Alcide d’Orbigny
La découverte à Esnandes des fossiles datés ultérieurement de l’Oxfordien supérieur des falaises de la pointe de Saint-Clément, près de l’Anse de l’Aiguillon, et des falaises environnantes, toutes légèrement en retrait du rivage actuel, a pu être en quelque sorte à l’origine de l’intérêt qu’Alcide d’Orbigny a porté tout au long de sa vie à la biostratigraphie, dont il est le fondateur. Simultanément, ses observations des sables de l’estran, initiées par son père, le conduisirent à découvrir une classe de micro-organismes, les Foraminifères, dont il intégrera plus tard les formes fossiles dans les étages géologiques qu’il a créés (aujourd’hui collection classée à part)
De son voyage en Amérique du Sud (1826–1834)
Une place à part doit être faite à la rencontre, en Amérique méridionale, entre Alcide d’Orbigny et d’autres explorateurs. Ainsi, Claude Gay, qui a constitué, entre 1831 et 1842, une importante collection pétrographique, provenant du Chili et du Pérou, conservée au laboratoire de géologie du Muséum, a rencontré Alcide d’Orbigny à Santiago du Chili, après sa première escale sur la côte pacifique à Valparaiso. Cette collection renferme également des fossiles, et on y trouve des mollusques du Falunien B, dont certaines espèces viennent en complément de celles récoltées par Alcide d’Orbigny dans le Falunien B de Bolivie. Alcide d’Orbigny n’a pas étudié les fossiles du Chili de Claude Gay ; c’est Hippolyte Hupé, aide-naturaliste au Muséum, plus tard auteur de l’inventaire de la collection d’Orbigny, qui étudiera ces mollusques. De ses relations avec les voyageurs de l’Amérique méridionale, évoquons encore la rencontre entre Alcide d’Orbigny et l’ingénieur polonais Ignacio Domeyko, qui lui envoya pour étude les fossiles récoltés pendant sa carrière universitaire au Chili, et à qui Alcide d’Orbigny dédia un brachiopode du Sinémurien et un céphalopode du Crétacé supérieur :
Si Alcide d’Orbigny avait déjà une certaine vue d’ensemble sur la géologie et la paléontologie avant de partir pour l’Amérique, c’est surtout à son retour qu’il ressentit la nécessité d’introduire de l’ordre et de la rigueur dans la description des caractères des espèces, dans la nomenclature en général (il a créé la désinence
En outre, Alcide d’Orbigny voyageait à l’étranger et recevait régulièrement des fossiles de nombreux pays d’Europe, qui ont couvert tous ses étages géologiques
Aucune indication n’est donnée de façon précise sur les lieux où la collection d’Orbigny a été entreposée avant son arrivée au Jardin des Plantes. Alcide d’Orbigny a d’abord résidé dans la maison familiale de Charles Marie, son père, à La Rochelle, où cette collection a de toute évidence été constituée par étapes, comme relaté précédemment. À son retour d’Amérique, quand Alcide d’Orbigny se rendait au laboratoire d’anatomie comparée du Muséum, il s’arrêtait brièvement au domicile de son frère, Charles Henri, rue de la Contrescarpe, à qui il devait confier quelques fossiles d’un voyage à l’autre. Il s’installa ensuite à Paris même avec sa propre famille, d’abord rue Louis-le-Grand, puis rue Hyacinthe-Saint-Honoré, et l’on peut éventuellement admettre que la collection l’a suivi en partie dans ses demeures parisiennes. Compte tenu de l’immensité de son œuvre paléontologique, il est impensable d’envisager qu’il n’ait pas eu à sa disposition les fossiles en cours d’étude. Le regroupement de la collection s’est fait naturellement en 1850, date à laquelle la famille d’Orbigny s’installa au nord de Paris, à Pierrefitte-sur-Seine, dans une grande maison, dite le « Château », également habitée par Albert Gaudry (beau-frère d’Alcide d’Orbigny) et par plusieurs membres de sa famille. La nomination d’Alcide d’Orbigny comme professeur de paléontologie au Muséum (1853) lui permit sans doute d’obtenir un peu plus de place au laboratoire pour avoir, par exemple, à sa disposition les fossiles illustrant son cours. Mais l’ensemble de la collection fut conservé à Pierrefitte.
En 1857, à la mort d’Alcide d’Orbigny, sa collection a été acquise par l’État sur ordre du ministre de l’Instruction publique et des Cultes, Mme d’Orbigny l’ayant vendue pour la somme de 55 000 francs-or. Le catalogue d’entrée des collections de fossiles, commencé en 1853 (date de la création de la chaire de paléontologie destinée à Alcide d’Orbigny), ainsi qu’une fiche d’entrée par collection, témoignent de l’arrivée au Muséum, en 1858, de cette précieuse collection (
Le plan du catalogue par étages (
Les 27 fascicules du catalogue de la collection paléontologique d’Orbigny sont consacrés à la macrofaune des Invertébrés, montrant aussi leur abondance relative dans les étages. Toutefois Hippolyte Hupé a fait état de la présence, dans presque tous les fascicules, d’un petit nombre de restes de Vertébrés (dents, vertèbres). Quelques Foraminifères sont cités dans une dizaine d’étages méso-cénozoïques, et l’on trouve aussi de rares indications sur des sables et des roches.
Le matériel rassemblé par Alcide d’Orbigny pour sa collection a été évalué par Hippolyte Hupé à plus de 100 000 spécimens, répartis en près de 14 000 espèces. La numérotation des fossiles eux-mêmes est toute simple (numéro indiqué sur le spécimen, ou sur des pastilles de papier, ou sur le bouchon de liège des tubes de verre ou encore sur des supports cartonnés,
Le classement zoologique de la collection suit également celui donné par Alcide d’Orbigny dans le
Si les mollusques sont particulièrement fréquents dans tous les étages, certains autres groupes sont bien représentés, tels les brachiopodes, au Paléozoïque surtout, mais aussi au Mésozoïque, ou encore les bryozoaires, d’une très grande richesse spécifique au Sénonien. Généralement moins nombreux sont les zoophytes (échinodermes et coraux) et très peu nombreux sont les articulés (trilobites et crustacés), les annélides, les amorphozoaires (éponges). Notons qu’Acide d’Orbigny n’a pas inclus les trilobites, les crustacés, les annélides, ni divers taxons tels
Par leur richesse numérique dans les gisements et leur diversité morphologique, les mollusques ont suscité un grand intérêt chez Alcide d’Orbigny, qui les a suivis tout au long des temps géologiques. De plus, son excellente connaissance des faunes actuelles, tant en anatomie qu’en écologie, a été favorisée par la proximité immédiate du littoral atlantique, caractérisé en Charente-Maritime par un estran de vaste étendue, et aussi par une grande culture générale du domaine marin partagée en famille. Rappelons ici quelques grands traits de la classification retenue aujourd’hui pour la systématique de ces mollusques fossiles. Ainsi, nous devons à Alcide d’Orbigny la distinction des lamellibranches (bivalves) en intégripalliés et sinupalliés, liée à la variation de la ligne palléale (empreinte du bord du manteau) et traduisant un mode de vie. Chez les gastéropodes, il a innové une méthode de mesure de l’angle spiral des coquilles et souligné les variations ontogéniques de l’ornementation, ainsi que la valeur systématique des caractères du péristome. Chez les céphalopodes, il a pris en compte les stades ontogéniques, la dégénérescence gérontique, le dimorphisme sexuel, les cas tératologiques, les variations écologiques, arguments nouveaux dans l’interprétation des variations de l’espèce
Au cours du temps, la classification a évolué. Rappelons qu’au XVIIIe siècle, les grands groupes d’Invertébrés trouvent progressivement leur place dans la classification, malgré une hiérarchie des taxons encore très éloignée de celle adoptée au siècle suivant. Ainsi, Linné (1707–1778) a dénommé
Depuis le milieu du XIXe siècle, des modifications importantes ont été apportées à la position systématique de divers taxons chez les Invertébrés, qui se sont poursuivies postérieurement à l’œuvre d’Alcide d’Orbigny. Ainsi, les aptychus ne sont pas des cirripèdes, en dépit de leur grande ressemblance avec les anatifes, mais bien des pièces operculaires d’ammonites, même si les nautiles n’en possèdent pas. Les hippurites et radiolites ne font pas partie des brachiopodes et forment le groupe des rudistes chez les bivalves (longtemps appelés lamellibranches), caractéristiques des formations récifales du Crétacé. Les brachiopodes et les bryozoaires n’entrent pas dans l’embranchement des mollusques, mais sont bien, chacun séparément, des embranchements différents. Les dentales ne sont pas des gastéropodes et constituent une classe de mollusques à part, les Scaphopodes. Enfin, les trilobites ne sont pas des crustacés.
Alcide d’Orbigny pense que le seul rangement zoologique des taxons n’est pas adapté à la paléontologie, car il donne une importance majeure à l’étage enserrant toutes les espèces qui le caractérisent, permettant ainsi de mieux définir les unités de temps et, réciproquement, de mieux cerner les espèces. Il n’est donc pas surprenant d’avoir hérité d’une collection paléontologique classée dans un ordre stratigraphique, sachant qu’Alcide d’Orbigny accordait une place fondamentale à la biostratigraphie. Ce qu’Alcide d’Orbigny appelle l’âge relatif en géologie nous conduit directement à la paléobiogéographie, discipline qu’il a grandement développée au vu des nombreuses comparaisons qu’il a pu établir entre des espèces de même âge, à partir de ses récoltes personnelles, d’envois et d’échanges, provenant de points différents en France et partout ailleurs.
La place de la stratigraphie dans l’œuvre d’Alcide d’Orbigny revêt donc une importance majeure
Trente ans s’écoulèrent entre l’arrivée de la collection d’Orbigny au Muséum (1858) et sa destination nouvelle (1898). La collection a d’abord été placée dans le vieux laboratoire d’un bâtiment de la cour de la Baleine, occupé par les collections d’anatomie comparée de Georges Cuvier, et où s’installa Albert Gaudry, élu plus tard, en 1872, professeur de paléontologie
La décision de donner un espace plus grand à toutes les collections de paléontologie fut prise en 1892 par l’assemblée des professeurs du Muséum, et le nouveau laboratoire de paléontologie fut achevé en juillet 1898, sous la conduite de l’architecte Dutert. Il s’ensuivit l’emménagement progressif des collections de fossiles. En l’honneur d’Alcide d’Orbigny, Albert Gaudry attribua au premier titulaire d’une chaire de paléontologie de France et d’Europe une très belle salle de collections qui portera son nom, toute entourée de meubles à tiroirs en bois de chêne, surmontés de vitrines (
On ne sait que peu de choses sur la salle d’Orbigny entre le début du siècle et la période qui a suivi la guerre de 1914–1918, si ce n’est que Marcellin Boule, le successeur d’Albert Gaudry, a continué de mener une politique de regroupement des fossiles invertébrés au sein du Muséum et fit connaître les types du
L’intérêt qu’ont suscité les travaux paléontologiques, biostratigraphiques et paléobiogéographiques d’Alcide d’Orbigny dans le monde scientifique ne s’est en fait jamais démenti depuis la disparition de son auteur, il y a un siècle et demi. Si les querelles dans le domaine des idées et des théories eurent largement cours, la collection d’Orbigny, historique, rangée par étage et par ordre systématique, est restée un support indispensable aux études modernes en paléontologie et en biostratigraphie. Le nombre très élevé des espèces types dans tous les groupes, provenant de toutes parts et de tous les étages géologiques créés par Alcide d’Orbigny, et encore reconnus actuellement, ajoutent à l’importance de l’héritage scientifique qu’il nous a laissé. Depuis vingt ans, de nombreux paléontologues français et étrangers se sont inscrits sur la liste des visiteurs de la collection d’Orbigny, dans le but d’étudier un groupe ou un étage, seuls ou en collaboration. Les travaux publiés dans le cadre de la
Mes remerciements s’adressent à Jean-Claude Fischer, Henri Gauthier, Françoise Legré-Zaidline, pour leur aide dans la documentation scientifique et historique, à Denis Lacour pour l’informatisation de la collection d’Orbigny, à Françoise Pilard, Philippe Loubry, Denis Serrette pour l’illustration. Je remercie Marie-Thérèse Vénec-Peyré, rapporteur, pour ses remarques et suggestions.
The history of the creation and development of this renowned collection is more or less the résumé of d’Orbigny’s life. The education of d’Orbigny (born in 1802) as a naturalist was initiated in his family, at Couëron near Nantes in western France, and then in the ‘département’ of Charente-Maritime, at Esnandes and La Rochelle, where his palaeontological and geological fortune took form in the last two localities
The recovery of Late Oxfordian fossils from the cliffs of the ‘Pointe de Saint-Clément’, at Esnandes, and nearby cliffs was in a way the impetus of Alcide d’Orbigny’s interest in biostratigraphy. At the same time, his observations on the sands of the tidal flat of the Anse de l’Aiguillon (study begun by his father) led him to the discovery of a class of micro-organisms, the Foraminifers. Later, he placed extinct forms of the Foraminifers in the geological stages erected by him (today, the collection of Foraminifers is a distinct one)
Because of his ability, he was solicited by the Museum authorities to visit South America and he became an explorer of that continent (1826–1834)
On his return in Europe, d’Orbigny decided to collect as many fossils as possible in France during several years, in order to know their stratigraphical ranges (constantly from 1834–1840; more sporadically afterwards, up to 1855)
No precise information is available about the repositories of the collection before its arrival at the ‘Jardin des Plantes’ (i.e., the ‘Muséum’). The gathering of the collection took place naturally in 1850, when d’Orbigny’s family settled at Pierrefitte-sur-Seine, north of Paris, in a large house. The appointment of Alcide d’Orbigny as titular of the professorship of Palaeontology at the Museum in 1853 certainly permitted him to obtain more room in the former laboratory of Georges Cuvier, but the collection as a whole remained at Pierrefitte-sur-Seine.
The collection of fossil invertebrates made up by Alcide d’Orbigny is the earliest and larger palaeontological collection in the ‘Muséum national d’histoire naturelle’ in Paris (about 14 000 species and about 100 000 specimens). It was purchased in 1858 (55 000 ‘francs-or’), i.e. one year after the death of d’Orbigny, and Hippolyte Hupé, ‘aide naturaliste’ at the Museum, made its inventory
The molluscs (
Alcide d’Orbigny was of the opinion that the zoological arrangement alone was not suitable to palaeontology. Consequently, he stressed the importance of geological stages, one stage including all species that characterise it. By so doing, he gave a fundamental role to biostratigraphy. What is named relative age by d’Orbigny leads straightforwardly to palaeobiogeography, a field largely developed by him if we take into account the numerous comparisons he made between species of the same age and coming from various French regions and from elsewhere.
The d’Orbigny collection includes all geological stages, but those of the Cambrian
The d’Orbigny collection was first housed in the former laboratory located in a building of the ‘Whale Yard’ that was the repository of the Georges Cuvier collection of comparative anatomy. Albert Gaudry, who was latter appointed Professor of Palaeontology (1872)
Extrait de page du catalogue d’entrée des collections de paléontologie.
Extract of page of the catalogue of the laboratory of palaeontology on which is noted the entry of d’Orbigny collection.
Première page du catalogue, relatant les circonstances de l’acquisition de la collection d’Orbigny, ainsi que le plan de classement suivi.
First page of the catalogue relating circumstances of the acquisition of the d’Orbigny collection, and presenting the organisation of the catalogue.
Seconde page du catalogue de la collection d’Orbigny, donnant le nombre d’espèces et d’individus par étage.
Second page of the catalogue of the d’Orbigny collection, giving the number of species and individuals per geological stage.
Extrait d’une page du catalogue de la collection d’Orbigny, avec des lamellibranches du Sénonien.
Extract of a page of the catalogue of the d’Orbigny collection, with Senonian Bivalves.
La salle d’Orbigny.
The d’Orbigny Room.