Une étude des 25 haches polies découvertes au début du XXe siècle sur le site de Chastel-sur-Murat (Cantal, France), dans un contexte probablement chasséen, a permis d'établir la provenance des pièces. Certaines sont façonnées dans des roches du secteur (basaltes et fibrolites). Les autres proviennent de régions éloignées de plusieurs centaines de kilomètres : cinérite de l'Aveyron, silex du Berry, éclogite des Alpes italiennes. Cette étonnante diversité témoigne de l'existence de courants de circulation à longue distance des matières premières lithiques durant le Néolithique.
A study of 25 probably Middle Neolithic polished axes discovered at the beginning of the 20th Century in the site of Chastel-sur-Murat (Cantal, France), allowed to establish the origin of these objects. Some were shaped in rocks of the sector (basalts and fibrolites). The other ones result from regions several hundred kilometres apart: cinerite from Aveyron, flint from Berry, eclogite from the Italian Alps. This surprising variety confirms the existence of long-distance traffic currents of lithic raw materials during the Neolithic.
The site of Chastel-sur-Murat (Cantal), located on the western foothills of the Cantal Massif (1190 m high) is a basaltic neck that creates a natural defensive area. It has been settled from the Neolithic to modern times. The excavations made by Delort (1891–1904)
In the collections of the Archaeological Museum of Aurillac, we have found 25 axes. As part of a wider research scheme on the geographic origins of the rocks used to manufacture polished axes, we showed much interest in their petrographic nature. We have used various methods in our study: simple visual examination, micrographic study in thin plates, micropalaeontology for the flint, UVVISNIR spectroradiometry in low reflectance (a non-damaging method perfected by Errera
The most commonly used stone is the silicified cinerite (eight tools). This rock must come from the Permo-Carboniferous layers around the Réquista (Aveyron) region, where there was a very important quarry, the production of which was roughly circulating all over Aquitaine
Seven axes are made of fibrolite. This rock can be found in the neighbouring gnessic series, within 20 km. This raw material, which is found in the nature in the form of long lenses, was very much used for manufacturing small axes in the Auvergne region.
Five axes are in basalt, most likely of local origin. They are huge tools.
Two pieces are in flint, and are of different types. One of them looks like a flint from the limestone series of the Lower Turonian, and is likely to come from Berry, which is at least 300 km northward
An axe was extracted from an eclogite. Although these rocks (often retromorphosed) are quite abundant in Auvergne, there is no doubt that this one was taken out of a ‘fresh’ eclogite of Alpine origin and comes from an area 450 km apart from the site of Chastel-sur-Murat (Alpine chain extending from the Italian Piedmont to Liguria)
The Neolithic occupants of the site of Chastel-sur-Murat used axes that were manufactured from different materials. They turned to local resources (basalts) or regional ones, from areas located farther to the east (fibrolites). But they supplied themselves mostly with raw materials from remote places, i.e. from places several kilometres apart from the site, to the north, the southwest and the east. This fact shows quite clearly that the raw materials were carried and spread over long distances and it is not only true for Alpine metamorphic rocks. These imported axes are likely to have been bought as finished products.
The same supply scheme applies to the other sites of the eastern part of Cantal, and to the central part of Auvergne as well, with the exception of the axes made of cinerite, which become less and less numerous as one moves northward. Comparing the Chastel-sur-Murat axes with those found in the western part of the Cantal, many significant differences can be noted, such as the total lack of tools made of Tertiary flint and palaeolave. As for the fibrolite and the Turonian flint, they were not brought to the Aurillac Basin. Such differences show the existence of clearly distinct territories with their own specific supply sources.
This study of the origin of the rocks used for the manufacture of the polished axes that were found in Chastel-sur-Murat shows how well organised and widely spread the exchange flows of goods were in prehistoric times, and most particularly in the Neolithic period. Such flows took place in strict accordance with very complex methods and many considerations played their part.
One can notice, however, that mere parameters of qualitative nature cannot possibly account for imports. The mechanical qualities of the imported cinerites do not look superior to those of the flint stones from Auvergne and local eclogites are worth Alpine ones, as far as resistance is concerned. Most certainly, other reasons – of social economic origin – must have played an important part and particularly the existence of powerful ‘commercial’ networks, which may have surpassed the local resources. This shows all the wealth and complexity of the Neolithic communities, many further aspects of which still remain unknown. Through our study on axes, we have also given evidence that remains dug out more than a century ago still offer a great scientific interest. And we have illustrated the idea that archaeologists should always work with specialists of other domains.
Nous avons entrepris l'étude des haches polies découvertes en Auvergne
Parmi ces 1369 pièces, 164 proviennent du Cantal, dont 95 pour la façade orientale et 69 pour la façade occidentale (le reste est de provenance indéterminée).
Avec 25 haches inventoriées, le site de Chastel-sur-Murat se classe au premier rang des sites du département.
Le site de Chastel-sur-Murat (
Rappelons que les haches polies ont servi à travailler le bois, avec des utilisations privilégiant la percussion lancée. Le tranchant doit être suffisamment dur et résistant pour entamer le bois, sans s'esquiller. Il est donc nécessaire d'avoir recours à des roches tenaces.
J. Pagès-Allary donne le chiffre de trente haches polies découvertes. Nous en avons dénombré vingt-cinq, dont dix-neuf proviennent des fouilles de Pagès-Allary et six de celles de Delort. Quatorze sont entières, onze réduites à l'état de fragments (
La roche la plus utilisée est la cinérite (huit exemplaires). Pagès-Allary l'avait appelée «
Les haches en cinérite sont assez répandues sur les deux versants du Cantal (27 % du total des pièces sur le versant occidental et 13 % sur le versant oriental). Cette importance peut sembler surprenante, compte tenu de l'éloignement des lieux d'approvisionnement et de la présence, sur le versant occidental du Cantal, de gros gı̂tes de silex tertiaire lacustre, dont la résistance aux chocs apparaı̂t supérieure à celle de la cinérite (cette idée reste toutefois à prouver par l'expérimentation et des tests de résistance des matériaux). Les haches en cinérite sont également présentes, en quantité bien moindre, dans les départements de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. Ceci témoigne de la vigueur des courants d'approvisionnement à grande échelle.
Sept pièces sont en fibrolite. Le choix de cette roche, essentiellement composée de sillimanite, s'explique par sa remarquable ténacité (due à sa texture en bouquets de fibres) alliée à une dureté certaine (7 à 7,5) et à une très faible rugosité permettant un polissage aisé. Parfois appelée « jade » ou « jade néphritique », voire « jade gris » par les naturalistes du XIXe siècle, la fibrolite est abondante dans les formations métamorphiques de la partie centrale de l'Auvergne, notamment dans la haute vallée de l'Allier (Haute-Loire) et la basse vallée de l'Alagnon
La fibrolite a été la roche la plus utilisée en Auvergne (sauf sur le versant occidental du massif cantalien) pour la fabrication des haches polies. Les haches en fibrolite de Chastel sont de petite taille (3,5 à 5,4 cm), ce qui est la règle générale en Auvergne. Ceci tient au fait que la fibrolite se rencontre naturellement en lentilles de petite taille, souvent prélevées par les populations préhistoriques en position secondaire dans les alluvions des cours d'eau. Souvent, seul le tranchant a été poli. Ces petites pièces étaient probablement utilisées pour des travaux plus soigneux (façonnage des manches d'outils, de petits objets...).
Cinq pièces sont façonnées dans de la basanite mélanocrate. Cette lave est très répandue, aussi bien sur la planèze de Saint-Flour que sur celle de Chalinargues, et son origine géographique est très certainement locale. Une autre pièce a pu être identifiée, sans plus de précision, comme une lave, vraisemblablement aussi de provenance proche. Ces haches ont très probablement été polies sur place. Le basalte est une roche de qualité moyenne pour l'utilisation en lame de haches polies. Moins homogène et moins dur que le silex, il est toutefois plus résistant aux chocs. Compte tenu de l'abondance de ce matériau en Auvergne, les hommes du Néolithique en ont profité pour façonner de grandes et lourdes pièces, sans doute utilisées pour les gros travaux de bûcheronnage.
Deux haches sont en silex.
L'une d'entre elles est façonnée dans une variété de silex, de teinte gris translucide, à texture fine et très homogène. L'aspect de ce matériau et son examen en lame mince ont permis de l'identifier comme un silex marin de la craie du Crétacé supérieur, assurément étranger à la région et probablement issu du Berry
L'autre hache, d'une couleur blanc laiteux, est de nature et de provenance non identifiées.
Une hache est extraite d'une éclogite. Ce type de roche métamorphique est, derrière la fibrolite, le matériau la plus utilisé pour la fabrication des haches polies en Auvergne
Une hache a été réalisée dans un matériau identifié à l'œil nu comme un gneiss amphibolithique, probablement issu des mêmes secteurs que la fibrolite.
Les occupants néolithiques du site de Chastel-sur-Murat ont utilisé des haches façonnées dans des matériaux très divers. Ils ont eu recours aux ressources locales (basanites) ou régionales, provenant de secteurs situés plus à l'est (fibrolites des environs de Massiac). Mais l'approvisionnement fait une large part aux matières premières d'origine lointaine, provenant d'endroits éloignés de plusieurs centaines de kilomètres du site, dans les directions du nord, du sud-ouest et de l'est. Ceci témoigne de l'existence de courants de circulation de matières premières à grande échelle, qui ne concernent pas les seules roches métamorphiques alpines. Il est très probable que ces haches d'importation ont été acquises à l'état de produit fini.
Ce schéma d'approvisionnement est celui des autres sites de l'est du Cantal. Si l'on compare maintenant les haches de Chastel-sur-Murat avec celles découvertes sur le versant occidental du massif cantalien, notamment dans le bassin d'Aurillac, on note des différences importantes. Dans le secteur d'Aurillac, séparé de Chastel-sur-Murat par la ligne de crêtes du massif cantalien, les outils en fibrolite et en silex marin sont totalement absents, remplacés par des paléolaves et des silex tertiaires d'origine locale
Cette analyse de la provenance des roches utilisées pour la fabrication des haches polies découvertes à Chastel-sur-Murat montre l'organisation et l'étendue des courants d'échange des biens matériels à l'époque préhistorique, et plus précisément au Néolithique. Ces circulations se sont faites selon des modalités assurément très complexes, où se mêlaient des considérations de toutes sortes. On peut observer, toutefois, que les simples paramètres d'ordre qualitatif ne suffisent pas à expliquer les importations. Assurément, d'autres raisons ont dû intervenir, vraisemblablement d'origine socio-économique, avec notamment l'existence probable de puissants réseaux « commerciaux » ayant pu éclipser les ressources locales. Ceci montre toute la richesse des sociétés néolithiques, dont il reste encore beaucoup de facettes à découvrir.
Notre étude sur les haches constitue également la démonstration de l'intérêt scientifique que présentent encore des vestiges exhumés voilà plus d'un siècle. Elle est aussi l'illustration de la nécessité, pour les archéologues, de s'entourer de spécialistes d'autres disciplines.
Les auteurs souhaitent remercier ici les scientifiques qui ont contribué à cette étude : Pascal Barrier, Claudio d'Amico, Michel Errera, Jean-Claude Foucher, Danièle Santallier et Jean-François Heil. Notre gratitude va aussi au personnel du musée d'Aurillac pour son aide et à Jean-Michel Geneste pour la relecture critique de cet article.
Site de Chastel-sur-Murat (Massif cental, France).
Site of Chastel-sur-Murat (Massif Central, France).
Inventaire des haches polies provenant du site de Chastel-sur-Murat conservées au musée d'archéologie d'Aurillac (France).
List of polished axes from the site of Chastel-sur-Murat, France, kept by the Archaeological Museum of Aurillac (France).